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Véritable portrait du très fameux seigneur Messire Quincampoix

 Véritable portrait du Très fameux Seigneur Messire Quincampoix1
Certain Diogène moderne,
Cherchant dans tout le genre humain
Quelqu’un que la raison gouverne,
Vint à Paris un beau matin.
Il portait en main sa lanterne.
Quel spectacle s’offre à ses yeux !
Quincampoix, un fourbe odieux,
Qui mérite qu’un coup de berne
Lui montre le faubourg des cieux.
Je trouve, dit-il, dans ces lieux
Des fous de plus d’une manière.
Il fut surpris d’une chaudière ;
Elle bouillait sur un foyer,
Un diable y brûlait du papier,
Billets d’État et de monnaie,
Primes de west, primes de sud,
Papiers plus faux que le Talmud,
Il en faisait un feu de joie.
Dans la chaudière à pleine main
Un fou jetait sur l’espérance
D’une ambitieuse opulence
Son or et l’argent du prochain.
Quand la matière était fondue,
Qu’en sortait-il ? Papiers nouveaux,
Billets de banque des plus beaux,
Marchandise bien cher vendue.
L’extravagante Vanité
Montrait pour devise un Icare,
Vrai symbole du sort bizarre
D’un Quincampoix décrédité.
Derrière elle, un monstre barbare,
L’Envie, avec sa noire dent,
Grugeait la tête d’un serpent.
La flamme d’un boteau de paille
Représentait naïvement
Le court éclat de la canaille.
Armé de torche et d’un poignard,
Le Désespoir, d’une autre part,
Attendait pour saisir un homme
Qu’il eût fondu toute sa somme.
Sur une truie, un faquin nu,
Criait : Hélas ! je suis perdu,
Me revoilà dans la crasse.
Un satyre à laide grimace
Pestait contre les actions
Qui, comme d’affreux scorpions,
Ont une queue envenimée.
Troupe digne d’être enfermée !
Cria Diogène en courroux,
Un âne est moins bête que vous.
Vous cherchez une couronne
De plumes de paon, de chardons ;
C’est la Sottise qui la donne.
C’est pour elle qu’en vos maisons
Vous introduisez la famine ;
Vos ustensiles de cuisine
Sont des meubles à retrancher ;
Vous méritez qu’on vous assomme,
Et loin de vous je vais chercher
Où je pourrai trouver un homme.

  • 1« Il fut frappé une estampe en forme de caricature qui, sous une allégorie grossière mais juste, peint au naturel les ravages de cette frénésie épidémique [de l’agiotage]. Elle est conservée par les amateurs comme un monument historique précieux. Elle a pour titre : Véritable portrait du seigneur Quincampoix. On voit en effet au centre le tableau en buste de ce seigneur, qui a pour devise : Aut Caesar aut nihil. Il est surmonté d’une couronne de plumes de paon et de chardons que lui offre la Sottise, avec cette autre inscription : Je suis le jouet du sage et du fou. Au‑dessous du portrait fume une chaudière qu’un diable chauffe avec du papier. Un agioteur jette dans la chaudière à pleines mains son or et son argent, qui se fondent et ne rendent que des papiers nouveaux. Le Désespoir, derrière ce malheureux, semble l’attendre pour s’en emparer après cette opération. » Vie privée de Louis XV. — L’estampe a été reproduite dans les Mémoires de la Régence, accompagnée de la pièce de vers ci‑dessus, qui lui sert de commentaire. (R)

Numéro
$0349


Année
1719 septembre




Références

Raunié, III, 155-157 F.Fr.13655, p.50 Buvat, I, 434-435