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L'Agiotage

L'agiotage1
Tandis qu'en la rue Quinquempoix
Bien des gens soufflent dans leurs doigts
Et se font par d'avares peines
Troubler tout le sang de leurs veines,
Près de mes généreux tisons
Momus me souffle des chansons.

Je m'en vais des agioteurs
Chanter les plaintives clameurs,
Cet état si riche et si digne,
Hélas ! penche vers sa ruine,
Et doit écraser en tombant
Le fondateur et l'habitant.

Que diriez-vous d'une maison
Où l'architecte sans raison
Aurait partout, à sa manière,
Changé la forme et la matière,
Qui d'argent ferait le grenier
Et les fondements de papier ?

Qu'est-ce que ces petits billets,
Que l'on a si joliment faits ?
Trois ou quatre mots d'écriture,
Variable, incertaine, obscure ;
Sur ces chiffons les plus rebuts
On met l'espoir de nos écus.

Et puisqu'il se faut expliquer,
Ces billets se font de papier,
Le papier se fait de guenilles,
Vieux chiffons, restes de mandilles2 ,
C'est avec la mandille aussi
Que l'agioteur s'enrichit.

Allez l'application,
Badauds qui, chargés d'actions,
Esclaves de la politique,
Croyez qu'un pauvre despotique,
Avec de vaines fictions,
Peut vous faire des millions.

Mais examinons le tripot
Où se fait le vil agio :
Dieux ! que de mines effarées !
Les actions sont donc baissées ?
Consolez-vous dans votre mal,
Tout près d'ici est l'Hôpital.

Si par besoin quelque bourgeois
Approche la rue Quincampoix,
Là, son mauvais destin l'entraîne,
Il perd cinquante fois haleine,
Quand il veut par ce noir égout
Passer de l'un à l'autre bout.

On les voit tous se promener
Comme lapins dans un clapier
Ou comme de vrais porte-chapes,
Ce sont plutôt harengs en caques,
Où l'avarice au flanc pressé
Foule aux pieds l'honneur renversé.

Si Jésus voulut autrefois
Des vils transgresseurs de ses lois
Purger les environs du temple,
Louis fuit un si saint exemple.
Que ne chasse-t-il ces vauriens
A coups de fouet, comme des chiens !

L'ignorance est le seul profit
Qu'ils retireront aujourd'hui.
C'est le légitime salaire
Du travail d'un actionnaire.
Pourvu qu'à leur pressant besoin
La rage ne se mette point !

C'est ainsi qu'en pleurs à Paris
La soif de l'or change les  lys.
As-tu lu le chien de la fable3 ,
Actionnaire insatiable,
Qui, méprisant le plus sûr bien,
Lâche un morceau pour suivre rien ?

  • 1Autre titre: Chanson sur les agioteurs de la rue Quinquempoix au mois de décembre 1719
  • 2La mandille était une sorte de casaque que portaient les laquais. (R)
  • 3Le Chien qui lâche la proie pour l’ombre. (Cf. La Fontaine.) (R)

Numéro
$0344


Année
1719




Références

Raunié, III,144-47 - Clairambault, F.Fr.12696, p.317-20 - Clairambault, F.Fr. 12697, p. 263-66 - Maurepas, F.Fr.12630, p.87-90 - Arsenal 2961, p.579-83 - Arsenal 3231, p.453-56