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Le Merle blanc

Le merle blanc1
Un merle blanc des côtes d’Hibernie,
Le pays en produit assez communément,
Se voyant malmené de maint chasseur ardent,
Gagna pays pour assurer sa vie.
Audacieux, subtil, fanfaron, merle fin,
Il se garantit de la faim,
En différents climats sut trouver sa pâture,
Usant avec adresse et jouant d’imposture.
Il est vrai qu’en plus d’un endroit
Il pensa laisser bec, ongle et jabot pour gage ;
Et malgré son rare plumage
On l’aurait mis fort à l’étroit.
Pour éviter tout accident tragique,
Il entreprend à l’abord un vautour
En se glissant à sa cour.
Sûr qu’aux plus fins il leur ferait la nique,
On l’y reçoit. Son caquet affilé
Le fit de quelques-uns écouter avec joie.
Leur projet fut de partager la proie
Dont maint faucon s’était bien engraissé.
Notre merle, savant en l’art de piperie,
Fit goûter au vautour ses tours, son industrie.
Par là le drôle devenu
De ses secrets dépositaire,
Ainsi que de son revenu,
Aux fades courtisans se rendit nécessaire.
Venez, dit-il, aux sots oiseaux,
Accourez tous à ma boutique ;
J’ai dons à faire des plus beaux.
Quoi donc ? — Feuilles d’un art mystique.
Pour les avoir que donne-t-on encor ?
Je les fournirai pour de l’or ;
Une célèbre compagnie
Vous les garantira valoir plus que rubis,
Escarboucle, diamant, toute autre pierrerie,
Feuilles enfin qui n’auront point de prix.
Sa boutique peu fréquentée
Parut d’abord décréditée,
Hormis la grue et l’étourneau,
Qui donnèrent dans le panneau,
Le reste de la volatile
A sa porte point ne fourmille.
Notre merle tint bon.
De ses premiers chalands
Il combla bientôt l’espérance
Par une prompte récompense.
Pour avoir même sort tous se font voir ardents.
Pour entrer dans son catalogue
Il fallut donner des placets.
Chacun fut friand de sa drogue,
Oisons, perruches, sansonnets,
Pinsons, moineaux, serins, chardonnerets.
Sans discrétion ni mesure.
On donne son argent, son or,
Pour feuilles que la pourriture
Pouvait anéantir d’abord.
Le vautour, admirant cette sotte largesse,
Le merle et lui firent les renchéris.
De la feuille de chaque espèce
Bientôt on augmenta le prix.
A tant aux nigauds on la donne,
Tant par dessus ; tout le monde y consent ;
Elle paraît sept et huit fois plus bonne.
La feuille enfin gagna mille pour cent,
Et même souvent davantage
Pour qui sut mieux en faire usage.
Certain renard, politique, barbon,
Jugea le tour être de la Garonne ;
Il savait décider du mauvais et du bon.
Laissons, dit-il, venir l’automne,
Trop crédules oiseaux ; alors parmi les champs
Vous la verrez aride, au fumier destinée ;
Par sa mauvaise odeur vous grincerez les dents,
Maudissant, mais trop tard, qui vous l’aura donnée.
Toi, qu’un faux brillant a frappé
D’un espoir vain et téméraire,
Que cet apologue t’éclaire !
L’automne sera commencé,
Au premier chant d’un jeune coq huppé,
Frémis alors, avide actionnaire.

  • 1Cette pièce et la suivante sont une ingénieuse raillerie du système de Law, sous forme d’apologue. (R)

Numéro
$0395


Année
1720




Références

Raunié, III,215-17 - F.Fr.12500, p.244-46


Notes

Deux autres version tout à fait différentes en $3436 et $5567