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Le Départ de Law

Le départ de Law1
Assez longtemps, pour mon profit, en France
J’ai fait résidence,
Sachant prévenir
Un cruel avenir2 ;
Les héritiers de la vertu gauloise,
Rappelés de Pontoise3 ,
Pourraient bien ici
Me causer du souci.

Si les robins mettaient sur moi la patte,
J’en aurais la gratte,
Je plaindrais mon sort,
Malgré tout mon support ;
A l’ombre mis pour ma belle entreprise,
Oui, de Pierre-Encise4 ,
J’aurais pour maison
L’ennuyeuse  prison.

Là, détenu sans avoir d’espérance
De sortir de France,
Il faudrait compter ;
J’aurais à déchanter.
Je voudrais faire en vain le diable à quatre,
L’on saurait rabattre,
Par un long torquet5 ,
Ma gloire et mon caquet.

Faudrait subir rude interrogatoire,
Trouver en matière
L’argent que j’ai pris
Aux trois quarts de Paris.
Mon directeur n’ordonnant pas de rendre
Ce que j’ai pu prendre,
Dérivons d’ici,
C’est mon plus court parti.

Mon intérêt, ma sûreté s’y trouve,
Le Régent m’approuve ;
J’ai même aujourd’hui
Condé pour appui6 .
Content de voir que j’ai rempli ses coffres,
Il me fait les offres
De prendre son train
Pour avancer chemin.

La chose ainsi, je monte en calèche.
Çà, faisons dépêche !
Adieu vos écus7 ,
Messieurs, n’y pensez plus !
Le sort m’étant favorable et propice,
Je les porte en Suisse8 ;
Qui les reverra,
Plus fin que moi sera.

Vous que l’on vit aux actions avides,
Les croyant solides,
Toujours en papier
Vouloir réaliser,
Servez-vous donc de vos billets de banque ;
Si l’argent vous manque
Allez au payeur
Demandez leur valeur.

  • 1Autre titre : Chanson sur l'évasion de Law hors du royaume le… 1721 (Arsenal 2962)
  • 2La chute du système amena le départ de Law, qui sortit de Paris le 10 décembre. « Chargé de l’exécration publique, il fut obligé de fuir du pays qu’il avait voulu enrichir et qu’il avait bouleversé. Il partit dans une chaise de poste que lui prêta le duc de Bourbon‑Condé, n’emportant avec lui que deux mille louis, presque le seul reste de son opulence passagère. » (Voltaire.) (R)
  • 3Le Parlement rentra à Paris le 18 décembre. (R)
  • 4Pierre‑Scize ou Pierre‑Encise, château fort du Lyonnais, qui servait de prison d’État.
  • 5Terme vieilli, synonyme de embûche. (R)
  • 6« M. Le duc le protège ouvertement, et M. le Régent a dit en plein conseil qu’il lui avait donné sa parole d’honneur de ne toucher ni à la personne ni aux biens de Law. » (Journal de Barbier, 23 décembre) (R)
  • 7On accusait Law et le Régent d’avoir fait passer en pays étranger tout l’argent de la France. Cette opinion était entretenue par des rumeurs bizarres dont Barbier se fait l’écho : « Une nouvelle sûre, dit‑il, est qu’il a passé une quantité étonnante de chariots pleins d’or et d’argent, sortant de France, par la Flandre. On le sait par ceux qui les ont conduits ou vu charrier, et l’on compte, suivant le nombre qu’on en a vu qu’il est passé cent cinquante millions. On ne sait positivement pas la destination. Les autres croient que le Régent fait placer ces sommes en pays étranger par Law pour avoir des fonds et une retraite à la majorité. » (R)
  • 8On ignora durant quelques jours où s’était retiré Law. A la date du 28 décembre Barbier écrivait : « On sait présentement ce qu’est devenu Law. Il a passé sûrement à Valenciennes, où il a été arrêté, les uns disent par le commandant, les autres par M. d’Argenson le fils, intendant, qui y demeure. Il montra un passeport particulier de M. Ie Régent, et on lui donna des chevaux. Il avait avec lui l’écuyer de M. le duc, il était dans une de ses chaises, et quatre ou cinq hommes de sa livrée. Il a été à Bruxelles. » (R)

Numéro
$0397


Année
1721




Références

Raunié, III,221-24 - Clairambault, F.Fr.12698, p.186bis-187 -Maurepas, F.Fr.12630, p.487-89 -  F.Fr.13655, p.463-65 - F.Fr.13656, p.158-60 - Arsenal 2962, p.167-70 - Arsenal 3231, p.634-36 - Barbier, I, 100-02