Adieux à la guerre
Adieux à la guerre1
J’ai vu périr Gisors2
et perdre une victoire,
Où je manquai cent fois de périr à mon tour ;
Mon sang sur mes lauriers coulait à mon retour :
Cela m’en dégoûta plus qu’on ne saurait croire.
Qu’on en jase tant qu’on voudra,
Apollon peut rayer mon nom de son grimoire ;
Non, les neuf filles de Mémoire,
Ami, n’en valent pas une de l’Opéra ;
Aux hommes comme nous on n’en fait point accroire :
J’abandonne Mars pour l’Amour.
Entre les bras d’Arnould3
j’aime mieux vivre un jour,
Que mille et mille ans dans l’histoire ;
Sans risquer désormais de passer l’onde noire,
Ainsi que La Vallière4
en son heureux séjour5
,
Je ne veux que chasser, rire, chanter et boire.
Quand on est riche, duc, et qu’on rampe à la cour,
On a toujours assez de gloire.
- 1L’aventure galante de M. le comte de L*** est presque dans l’oubli ; voilà des vers à ce sujet qui ne me paraissent pas bien merveilleux (CLK) - M. le duc de Lauraguais est sensé l'auteur de ces vers. Il quitta le service alors. (Arsenal 3128) - Épître du comte de Lauraguais à un de ses amis. L’auteur était à l’affaire de Crevelt où il fut blessé à la tête de son régiment, qu’il a quitté ainsi que le service. (M) (R)
- 2Le comte de Gisors, fils du maréchal de Belle‑Isle, avait péri dans la bataille de Crevelt, à peine âgé de vingt‑cinq ans. « Ce fut une perte nationale. Ce jeune homme, dans un âge où les meilleurs sujets ne donnent que des espérances, était regardé comme un capitaine expérimenté et un homme d’État. » (Mémoires de Duclos.)
- 3Sophie Arnould, actrice de l’Opéra, qu’il avait prise pour maîtresse. (M.) (R)
- 4Courtisan méprisé qui n'a jamais rien fait de remarquable. (Arsenal 3128)
- 5Le duc de la Vallière passe sa vie à sa maison de plaisance de Montrouge. (M.) (R)
Raunié, VII,295-96 - Clairambault, F.Fr.12721, p.327 - F.Fr.10479, f°599 - F.Fr.15142, p.37-38 - Arsenal 3128, f°380r - CLK, octobre 1758, t.I, p.383 - Comte de Ségur, Mémoires, souvenirs et anecdotes, tI. I, p.121