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Épître de Lagrange-Chancel à la Reine d’Espagne

Épître du même auteur [Lagrange-Chancel] échappé des prisons de Sainte-Marguerite, à la Reine d’Espagne pour lui demander asile.
Reine dont le cœur mâle et le vaste génie
Doivent à vos enfants l’empire d’Ausonie,
Les Dieux pour célébrer un triomphe si beau
D’un peintre tel que moi vous devaient le pinceau.
Aussi, pour satisfaire à cette noble envie
Je viens vous consacrer le reste de ma vie.
Moi, Reine, à qui Phébus dont j’imite les sons
Donne un des premiers rangs parmi ses nourrissons
Et qui pour votre époux signalant mon courage
N’en reçut pour tout prix que trois ans d’esclavage.
Oui, dans ces temps affreux que mes yeux effrayés
Virent contre vos lys les nôtres déployés
Et que tous nos guerriers, déplorant leurs disgrâces,
Marchaient comme au supplice à l’assaut de vos places,
Je ne pus soutenir ce spectacle cruel,
Mon austère vertu me rendit criminel.
Je fus trois ans captif dans des grottes profondes
Que Neptune à regret entoure de ses ondes.
Là j’ai vu par trois fois le père des saisons
Recommencer le tour de ses douze maisons
Sans ouïr d’autres cris dans ces demeures sombres
Que les cris de Caron et les clameurs des ombres.
De quoi l’esprit humain ne vient-il point à bout ?
Les hommes tels que moi sont capables de tout.
Quand pour se dérober au péril qui les presse
Il faut que la vertu redouble leur adresse.
A force de projets mûrement médités,
A force de revers l’un à l’autre ajoutés,
Enfin j’ai pénétré d’impénétrables voûtes
Et venu jusqu’à vous par de nouvelles routes
Je vous offre un savant, je vous offre un soldat
Qui, propre à vous servir dans l’un et l’autre état,
Pour soutenir un droit aussi bon que le vôtre
Écrira d’une main et combattra de l’autre.

Numéro
$5188


Auteur
Lagrange-Chancel



Références

Mazarine 2356, f°17v