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La ménagerie. Psaphon. Contre le Sr de Voltaire

La ménagerie. Psaphon.

Contre le Sr de Voltaire1

L'Afrique, en monstres fertile,

A produit aussi des fous.

Le calotin évangile

Nous en cite un entre tous.

Psaphon fut le nom du Gille,

Personnage universel,

Ou du moins narré pour tel

Des caillettes de la ville,

Être en tout impersonnel

Et moins homme que squelette,

Sans invention, poète,

Sans savoir, physicien,

S'affichant historien,

Pour un chiffon de gazette,

Quoique tissu sans lien

Et sentant la friperie

le drôle, avare, le vilain

Entiché de juiverie

Et brave à lever la main

Pour le moindre espoir de gain,

Mais plus superbe et plus vain

Pourvut sa ménagerie

Des oiseaux à qui la faim

A procuré l'industrie

D'uurper langage humain

D'iceulx sur Margot la Pie,

Tiriot le sansonnet,

Geai, perruche et perroquet,

Troupe affamée et servile2

Qu'il appâtait avec peu,

Et quand leur gosier docile

Las de jeûner la vigile

Au gré du fesse-mathieu3

Répétait d'un ton facile :

Le grand Psaphon est un dieu,

Ceux dont la nature agile

Retenait mieux la leçon

Gazouillaient un vaudeville

Que pour sa gloire fertile

Avait fait le charençon.

Le friand de renommée,

Un jour, hors de son étui,

Voit sa famille emplumée

De diète consommée,

Plus hâve et plus maigre que lui.

La cohorte effarouchée

Loin du gîte qu'elle a fui

Se trouve fort empêchée :

Liberté sans la becquée

Est le plus mortel ennui

Mais la gache s'est perchée

Sur le plus prochain hangar,

La perruche s'est huchée

Chez Begude à l'oeil hagard

Par l'opinion desséchée4 .

Une tête panachée

Distillant encore le nard

Au perroquet donne asile

Chez certain riche pillard

Sansonnet à domicile

Et geai mi-partie de paon

Chez un robin le faufile5

Gâte des arts le tyran

Gâte des arts le mobile

Lorsque midi sonne affile

À chacun d'eux le gosier

Pour se remplir le gigier [!]

Oyez la canaille avide

Crier partout comme au feu :

Le grand Psaphon est un dieu,

C'est au théâtre Euripide,

Dans l'histoire Thucydide,

Dans la morale Solon,

En mathématique Euclide,

Et c'est du joyeux grillon

Fleurant l'onde à genipide [!]

Le Mercure, l'Apollon

Miracle, crie, perplexe

La caillette de tout sexe

Aux genoux de Pantalon

Des prêcheurs Vitruve appelé

Archimède, Praxitèle

Vite un temple au dieu Psaphon

Moi j'en serai la béguine

Moi j'en serai sacristine

Je destine maint chiffon

Pour le parer dans sa niche

Un grand terrain se défriche

Et le membre le plus riche

Entamé par maint typhon

Forme le temple bouffon

Mais un hôte que le chiche

D'un pot de vin, triche

Vint nouveau Bellérophon

Anéantir la chimère.

Psaphon un dieu, ma commère,

Vous gobez cet hameçon

J'en sais le fin, c'est un rôle

Qu'à l'aide du seneçon

Aux oiseaux apprit le drôle

Voyez-le, il a sur l'épaule

L'indélébile poinçon

De Chabot et de Poisson

Dont l'insolent en contrôle

Frappé de l'estramaçon.

Psaphon de rage frétille

En lâchant maints maudissons

Sur son hôte qui l'étrille

Aux yeux de sa volatille

Le dieu devint limaçon

Et rentre dans sa coquille.

  • 1L'idée de cette pièce est très jolie. Il est dommage que les vers n'en soient pas meilleurs. Voici l'histoire du dieu Psaphon. Psaphon était un roi d'Egypte que son ambition avait porté à passer pour une divinité; et pour cet effet il eut recours à la fourberie. Il avait une ménagerie remplie de toutes sortes d'oiseaux; il s'étudiait à apprendre à ses oiseaux à dire que Psaphon était un dieu. Le peuple prenant cela pour merveilleux, lui rendait les hommages dus aux divinités. Sa ruse et son imposture se découvrirent à la fin. Psaphon fut moqué et regardé comme un fol. (Lille, MS 65)
  • 2Flatteurs et préteurs gagés de Voltaire.
  • 3Dumoulin, marchand de blé, son commis et son associé dans le commerce des blés avec qui il a eu un procès qu'il a perdu.
  • 4L'abbé de Linant, chez Mme du Châtelet.
  • 5Lamarre, autrefois abbé, à qui Voltaire payait sa pension chez un procureur et depuis chez le président Dupuys.

Numéro
$4534





Références

 NAF.9184, p.357-58 - Lille BM, MS 65, p.298-306 - Arsenal 3128, f°275r-276r - Chambre des députés, MS 1423, f°197v


Notes

Etrange salmigondis, pourtant plusieurs fois recopié.