Sans titre
Est-ce moi qu’on refuse ? Ingrate Académie1
!
Que n’avais-je point fait pour dormir dans ton sein !
J’ai fabriqué Warwick, drame plein de génie,
Sifflé, honni trois fois d’un parterre inhumain ;
J’ai pour me dépiquer très bien lu Mélanie ;
J’ai courtisé Thomas que j’ai mordu sous main ;
J’ai feint d’aimer Voltaire et d’estimer Saurin.
D’Alembert pour m’aider se donne la torture ;
Duclos sous le secret m’avait promis sa voix ;
Mon extrait des Saisons est obligeant je crois ;
J’ai loué Marmontel, et c’est forcer nature ;
L’anonyme a voilé mes petites noirceurs !
Ciel ! que faut-il donc pour gagner tous les cœurs2
?
- 1La Harpe dit hautement qu’il sera de l’Académie. Cette confiance intrépide lui a d’abord attiré trois épigrammes très dures qui sont le moindre de ses malheurs. Les deux premières sont si grossières et si mal fagotées que je ne transcrirai que la dernière (Collé).
- 2Cette épigramme a besoin de quelques éclaircissements, et les voici : Warwick est une tragédie de son invention pour le fond, et sans force dans les caractères, ainsi on a raison de l’ironiser sur son manque de génie. Ce qu’il y a de véritablement estimable dans Warwick, c’est le dialogue, dont les vers sont d’une simplicité élégante, et qui dit presque toujours ce qui doit être dit. M. de Laharpe est le meilleur lecteur que j’aie entendu ; aussi Mélanie n’a-t-elle réussi que lorsqu’il l’a lue et n’a-t-elle eu aucun succès quand on l’a lue soi-même ou qu’on l’a vu représenter. Dans son Mercure, il a attaqué indirectement M. Thomas, en parlant du genre des panégyristes. Il est vraisemblable aussi que, dans son Mercure, ce n’est qu’à la recommandation de M. Duclos, ami de M. de Saint-Lambert, qu’il a pu faire un extrait favorable du poème des Saisons de ce dernier, l’ouvrage le plus ennuyeux qui ait été fait de ce siècle. Le vers qui commence par l’anonyme, etc. est mal fait et obscur ; ce vers veut dire qu’il a fait des noirceurs anonymes dans quelques pièces de vers ou de prose dans lesquelles il ne s’est pas nommé, et ce vers ne dit pas cela ; il faut le deviner. (Collé)
Collé, III,282