La Clique de Madame du Barry
La clique de Madame du Barry1
Eût-on pensé qu’une clique,
Se moquant de la critique,
Sût d’une fille publique
Faire un nouveau potentat ?
Eût-on cru que, sans vergogne,
Louis à cette carogne
Abandonnant la besogne
Laisserait perdre l’État ?
Par elle on devient ministre :
C’est sur son ordre sinistre
Que d’Aiguillon tient registre
Des élus et des proscrits.
Le public indigné crie,
Mais du Roi l’âme avilie,
Sûre de son infamie,
Est insensible au mépris.
Tous nos laquais l’avaient eue
Lorsque, trottant dans la rue,
Vingt sous offerts à sa vue
La déterminaient d’abord.
Quoi que Louis ait su faire,
La cour, à ses vœux contraire,
Moins lâche qu’à l’ordinaire
Pour la fuir est bien d’accord.
J’en excepte les espèces
Qui pensent que leurs bassesses
Leur vaudront quelques caresses
Des commis et des valets.
Objet de notre risée,
Que cette troupe effrontée
Pour le moins soit régalée
Ici de quelques couplets.
Commençons par le plus digne,
Le public nous le désigne :
Bissy, cet honneur insigne
Ne peut regarder que toi ;
Ton esprit faux et maussade,
Toujours triste, toujours fade.
T’eût valu quelque ambassade,
S’il ennuyait moins le Roi.
Vil athlète de la brigue,
Vil sectateur de l’intrigue,
De la cour que tu fatigues
Retire-toi donc enfin !
Ne vois-tu pas qu’on te moque,
Et que ton aspect baroque
N’offre plus rien qui ne choque ;
Richelieu, fais une fin.
Peu délicat sur l’honnête,
Plat courtisan, flatteur bête,
Sans caractère et sans tête,
D’Aumont, voilà ton portrait :
De ta petite existence
Content jusqu’à l’insolence,
Tu crois que sans indulgence
On doit te trouver parfait.
Qu’as-tu fait de ta prudence,
Condé, dans cette occurrence ?
De ton nom, cher à la France,
Tu viens de ternir l’éclat ;
Abandonne la partie,
Efface l’ignominie,
Viens défendre la patrie,
Rends un héros à l’État.
Maillebois sut être infâme,
Et dans le fond de son âme
Avait ourdi mainte trame
Pour perdre son ennemi :
Du même crime coupable,
Voir que de Broglie l’accable
Et le déclare incapable,
Cela paraît inouï.
Des Cars, Laval et tant d’autres,
Qui vous croyez des apôtres,
A d’autres yeux que les vôtres
Vous ne semblez que des fous ;
Allez, que rien ne vous gêne ;
N’appréhendez point la haine :
Vous ne valez pas la peine
Que l’on s’occupe de vous.
Pourvu que Choiseul détale,
La jésuitique cabale
Dit que le Roi sans scandale
Peut vivre avec du Barry ;
Que le ciel choisit l’impure
Pour montrer à la nature
Qu’il n’est vile créature
Dont il ne tire parti.
Croit-on qu’épargnant les femmes,
Je laisse ces bonnes dames
S’applaudissant dans leurs âmes
D’imaginer qu’on les craint :
Tant qu’elles furent jolies,
On toléra leurs folies ;
Depuis, elles sont momies
Et personne ne les plaint.
Des restes de la v…
Valentinois resta folle2
,
Et cette insipide idole
A du Barry se donna.
Près d’une jeune princesse,
Pour élever sa jeunesse,
Le Roi mit cette comtesse…
Le beau choix qu’il a fait là !
La maîtresse de Soubise3
,
Comme une femme de mise,
Dans les cabinets admise,
Croit faire des envieux.
Aujourd’hui, même en province,
On trouve cet honneur mince,
Du Barry fait voir au prince
Les borgnes et les boiteux.
Talmont4
croit jouer un rôle,
Et, si quelqu’un la contrôle,
D’avance elle se console
Par l’espoir d’un grand crédit.
Le Roi s’en rit sans scrupule,
La pauvre vieille crédule
Ne voit pas qu’au ridicule
Se bornera son profit.
Mirepoix5
, plus avisée,
Laissant aux sots la fumée
Et du solide occupée,
Se fait donner de l’argent.
Depuis longtemps la commode
De la maîtresse à la mode,
Elle vend de sa pagode
Les bontés bien chèrement.
- 1On passe ici en revue les partisans de Mme du Barry. Il est fâcheux que cette satire, aussi plate que méchante, ne se ressente en rien des vaudevilles piquants de la vieille cour. (M.) (R)
- 2La duchesse de Valentinois « La dame Valentinois est comme hors de combat, on dit qu’elle redevient folle. » (R)
- 3Mme la comtesse de l’Hôpital, maîtresse du prince de Soubise. (M.) (R)
- 4La princesse de Talmont. (R)
- 5La maréchale de Mirepoix avait été l’une des premières femmes de distinction qui, par intérêt, avaient consenti à paraître en public à Versailles avec Mme du Barry. « Elle joue un rôle indigne, écrivait Mme du Deffand à Walpole, elle cherche à faire des recrues pour diminuer sa honte, mais jusqu’à présent sans grand succès. » (R)
Raunié, VIII,248-57 - F.Fr.13652, p.62-67 - F.Fr.15141,p.221-27 - BHVP, MS 705, p.198-202 - Collé, III,311 - Barbier-Vernillat, III, 169-72
Nota: il manque plusieurs couplets (F.Fr.13652 et Collé)