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Le Noir et le blanc

Le noir et le blanc
Dans ce monde tout varie,
L’esprit et le sentiment ;
Chacun son goût, sa manie,
L’un veut noir, l’autre veut blanc ;
Pour moi, fier de ma patrie,
Un lis aurait mon espoir
Et je méprise le noir.

Lorsque je vois ma Glycère
En jupe de blanc satin,
Qui sur sa taille légère
S’allie avec son beau sein,
Oui,  je crois être à Cythère
Et je ne puis concevoir
Comment on souffre le noir.

Quoique ici je désavoue
Hautement cette couleur,
Il faut pourtant que je loue
Ses avantages d’ailleurs ;
Il est vrai que pour la boue
On ne saurait rien avoir
D’aussi propre que le noir.

Voyez ce ramas de cuistres,
Prêtres, moines et prélats,
Procureurs, juges, ministres,
Médecins et magistrats ;
Ces uniformes sinistres
Leur tiennent lieu de savoir,
Ah ! que d’ânes sous le noir.

Mais ces frêles avantages
Ne peuvent être opposés
Aux innombrables dommages
Dont nous sommes épuisés ;
Ce serait par trop d’ouvrage
S’il fallait apercevoir
Les maux que cause le noir.

Jouant la douleur extrême,
Doris, en habit de deuil,
Dans les bras de ce qu'elle aime
Rit dun époux au cercueil.
Voile affreux du stratagème !
Ne pourra-t-on bientôt voir
Enfin supprimer le noir ?

Je voudrais à tous propice,
Si j’étais au rang des rois,
Que surtout sans artifice
On interprétât les lois ;
Pour rétablir la police
J’userais de mon pouvoir
Et je proscrirais le noir.

J’aimerais la politique,
Les talents et les vertus,
Et je voudrais qu’on s’applique
A réformer les abus ;
Enfin en place publique
Aux flambeaux, par un beau soir,
Je ferais brûler le noir.

Ce vœu devient inutile :
L’honnête homme est maîtrisé,
A la cour comme à la ville
Le noir est autorisé ;
Car le peuple est imbécile
Et les grands, toujours sans voir,
Pour le blanc prennent le noir.

Numéro
$1570


Année
1785




Références

Raunié, X, 196-199 - BHVP, MS 707, f°6v-7r