Pièce anonyme
Pièce anonyme
Versificateur anonyme,
Qui rimez comme les hurons,
Quel est le Dieu qui vous anime ?
Ce n’est Phoebus car il s’exprime
Par de plus agréable sons ;
Ce n’est pas non plus Melpomène,
Trop sage pour avoir guidé
Une si dangereuse veine,
Plus venimeuse que Circé.
Mais c’est l’époux de Proserpine
Qui de ses gouffres souterrains
Vous a soufflé cette vermine
Pour gâter le cœur des humains.
Encore si votre musette,
Dans ses libres amusements,
N’avait employé ses accents
Qu’à blâmer l’ardeur indiscrète
Et tous les faux raisonnements
D’Escobar et de sa séquelle,
Qui par sa doctrine nouvelle,
Du doux fanatisme enivré,
Dit que l’on peut en sûreté
Enguilbauder [sic] une pucelle
Et s’ébaudir dans sa ruelle,
Le tout sans le moindre péché.
Pourvu pourtant, dit le bon Père,
Que ce soit dans le carnaval
Ou bien dans quelque jour de bal
Qu’on quitte un moment sans mystère
Ayant vu sortir la bergère
Et que là l’on la mettre à mal
Sans penser toutefois le faire
Comme ferait quelque brutal.
Ce ne serait point là médire,
Chacun pense comme il l’entend.
Si cette morale fait rire
Ou si vous voulez, pour mieux dire,
Et fait horreur au Parlement.
a-t-il lu dans la litanie
de ce scrupuleux mandement
que son autorité munie
d’un idolâtre sentiment
a voulu par un jugement
émané d’un malin génie
faire jeter la cendre au vent.
A-t-il vu, dis-je, la morale
De cet indévot Triconnet
Dans cet écrit dont la grand’salle
a tant et tant fait de caquet.
Il est vrai que mieux on eût fait
De ne le point faire paraître,
Non pas qu’il ne soit plein d’esprit
Et qu’il n’eût trouvé de crédit,
Mais parce qu’on trouve peut-être
Qu’il est trop rempli de salpêtre
Et qu’il a fait un trop grand bruit.
Quoi qu’il en soit la Cour suprême
Qui, par un arrêt incivil,
Malgré l’avis et le système
D’un des successeurs de Demêsmes,
A voulu le rendre inutile
Et subi d’en haut la taloche ;
Et le Conseil humainement
Sans trop se répandre en reproches
A cassé net le jugement
Qui le saint mandement écorche
Et soufflé bien vite la torche
Qui devait odieusement
Faire l’inique embrasement.
Il a bien fait, de par saint Gilles,
Et ses oracles sont divins.
Il ne connaît d’autre Évangile
Que celle dont les grands chemins,
Par le secours de Vintimille,
Vous mènent chez les chérubins
Sans fêtes, quatre-temps, vigiles,
Qu’on laisse aux antimandarins
Comme les quarante assassins
Qui rendent au corps trop de bile
Et font gronder les intestins.
Reconnaissez donc l’injustice
De ces sénateurs si vantés
Qui, par hasard ou par caprice,
Peut-être même par malice,
De tous les avocats aidés,
Et contre un ministre ligués
Qui n’entreprend rien en novice,
Veulent faire passer pour vice
Les plus brillantes vérités.
Déjà les avocat dociles
Se sont soumis à son pouvoir
Et toutes ces âmes serviles,
Intimidées par les exils
Et se voyant au désespoir
De ne plus ruiner de pupilles
Se sont remis dans leur devoir,
Et ces diseurs de fariboles
Pour attraper force pistoles
Tous les matins mieux que jamais
Vont clabauder dans le Palais.
Il vous sied bien, muse insipide,
De vouloir faire la leçon
A ces docteurs qui n’ont pour guides
Que la justice et la raison,
Et cherchant un chemin solide
Pour gagner la sainte Sion
Sans qu’il en coûte à l’homicide
Qu’un écu ou qu’un ducaton.
Mais cette cabale, dit-on,
N’est, me répondrez-vous, avide
Que d’admettre en la nation
Une sainte inquisition
Et qu’est-ce que cela décide ?
C’est par pieuse intention
Et pour lâcher enfin la bride
A la nouvelle instruction.
Pourquoi baptiser d’hypocrite
Le saint et juge Daguesseau.
C'est un homme plein de mérite
Qui prête, et son âme, et son sceau,
Et qui, tout rempli de lumière,
Sur le déclin de sa carrière,
Cherche un facile passeport
Pour le Ciel après sa mort.
Languet l’écrira sur sa tombe.
Ce prélat de piété profonde,
Charitable, dévot, bénin,
Qui voudrait savoir tout le monde
Même jusqu’au plus libertin,
Lui en a donné sa parole ;
Et quoique le savant Nicole
Avec Arnauld, du firmament
Lui disent intérieurement
Qu’il a quitté la bonne école
Pour adopter aveuglément,
Pour lui, c’est une faribole.
Il ne croit pas qu’un prêtre ment
Et dans son triste égarement,
C’est là tout ce qui le console.
Il fuit le nouveau document.
L’abbé Thésut dont la doctrine
Autorise les actions
N’est pas, suivant nos visions,
Si fort enclin à la rapine
Et ce sont des illusions
Que votre insupportable verve
Qui rimaille malgré Minerve
Veut faire avouer aux gens de bien.
Le croira-t-on ? Je n’en crois rien,
Et proprement l’auteur s’énerve
Pour passer pour un grand vaurien.
Ce n’est pas que dans sa satire
Qui fait plutôt pleurer que rire,
Tout le discours soit mensonger.
Je n’ai garde de le penser,
Mais l’action n’est pas le pire,
Dit Dieu, c’est le ton de le dire,
Car s’il eût su se modérer
Et gravement se faire entendre,
Il eût dit d’un ton ingénu
Que le susdit abbé Thésut
Sans y penser avait su prendre
Et sur l’autel et sur son cru
Pour agrandir le revenu
D’un petit poupon jeune et tendre
Qu’il a, sans savoir comment, eu
D’une gentille chambrière,
Car le chanoine est si pieux
Qu’il l’a fait sans l’avoir vu faire
Et qu’il pensait à son bréviaire
Dans l’action ; rien n’est de mieux.
Quel mal voit-on dans sa conduite
Et que peut-on lui reprocher ?
Non, non, ce n’est pas là pécher,
Puisque ce qui fait le mérite
De l’action, c’est le penser.
Lecteur, peut-être tu t’étonnes
De ce catéchisme nouveau
Et cette doctrine chiffonne
Ton chétif et frêle cerveau.
F.Fr.12800, p.261-67 - Arsenal 2976, p.196-205
Un texte délirant et incohérent, mais dont la finalité haineuse contre le "molinisme" ne fait pas de doute.