Chanson sur les évêques
Chanson sur les évêques1
Le haut clergé s’est assemblé
Pour juger les jésuites,
Des mœurs de la société,
Des progrès et des suites :
Mais de ces fameux assassins
Préférant la finance,
Ces prélats laissent aux destins
A conserver la France.
Le Cardinal2
, homme d’esprit,
Est de l’Académie ;
Mais il n’a pensé ni produit
Depuis qu’il est en vie :
Ennemi du bien et du mal,
Il prit en patience
Le coup qui le fit cardinal
Contre toute apparence3
.
Au bout du compte un tel soufflet,
Au milieu de la joue,
Aux descendants de Cadenet4
,
Tombe-t-il dans la boue ?
S’en venger, c’est courir hasard,
Et pardonner, bassesse ;
L’église lui sert de rempart,
Pour soutenir noblesse.
Beaumont4
, par Grisel5
inspiré,
Laquais6
, prêtre hypocrite,
A l’aveuglement condamné,
De rien ne voit la suite :
Cependant il a fort bien su
Que l’affreux régicide,
Par les Ignaciens conçu,
Fit Damiens7
parricide.
Or, de ces faits, nos chers amis,
Quelle est la conséquence ?
Dira-t-on qu’avec ces maudits,
Il est d’intelligence ?
Non, cherchant l’absolution,
Cette troupe perfide
Vint le soir même à Charenton,
Pour laver l’homicide.
Cambrai8
, ce prêtre méprisé,
La honte de l’église,
Par ses confrère appelé,
Comble encore leur sottise :
Aux pieds de sa vieille beauté,
Cherchant ce qu’il doit dire,
Il immole la vérité
A l’amoureux délire.
Nicolai9
, sot, plat et long,
Vendu, comme son frère10
,
Au feu cardinal du Perron,
Veut renvoyer l’affaire ;
Et de la place qu’il remplit
Oubliant la décence,
Insulte, fier de son crédit,
Et Soissons11
et la France.
Sans respect pour sa dignité,
Orléans12
se rétracte13
,
Chacun sait que sa parenté
Ne fut jamais intacte ;
Il corrompt jusqu’à son cousin,
On passe la cousine14
;
Mais la feuille qu’il tient en main15
,
Vaut bien la loi divine.
Le reste, un amas d’ignorants,
De l’église la lie,
Bas valets, lâches courtisans
De cette secte impie,
Craignant le fer et le poison,
Tous ces prêtres coupables,
Laissent leur prince à l’abandon
De ces gens détestables.
……………….16
S’étonnera-t-on que Ricci17
,
Ce monstre sanguinaire,
Défende à sa cohorte ici
D’être à ses vœux contraire18
?
Quand il signerait mille fois,
C’est un nouveau parjure :
Ce barbare ne suit de lois
Que contre la nature.
Vengez-vous, grand prince, il est temps :
Chassez la race impie :
Vengez Lisbonne, Henri le Grand,
L’Amérique et l’Asie :
Quiconque oserait des Césars
Insulter la puissance,
Doit être puni sans égards ;
C’est le vœu de la France.
- 1Il y avait alors une assemblée de prélats, nommés par le roi pour examiner la doctrine des jésuites. - Cette note et toutes celles qui suivent proviennent des Mémoires secrets
- 2Le cardinal de Luynes, chez qui se tenait l’assemblée.
- 3On prétend que M. de Luynes a commencé par servir ; mais ayant reçu un soufflet dont il ne prit pas vengeance, il fut obligé de prendre le parti de l’église.
- 4 a b Voyez l’histoire de la mère et du fils, par Mézeray, où est toute l’origine de la maison de Luynes.
- 5Grand pénitencier, l’âme damnée de M. l’archevêque et son confesseur.
- 6On prétend que M. Grisel a été laquais : c’est un fou dont on cite mille traits extravagants, entre autres celui de Mlle Huno, maîtresse de M. de La Valière. On l’accuse d’avoir volé 50 000 liv. à la succession de M. de Tourni, intendant de Bordeaux, dont il était directeur.
- 7L’exécrable assassin du Roi.
- 8L’archevêque de Cambrai, amant de madame la comtesse de Lismore.
- 9L’évêque de Verdun, qui porte toujours des cheveux plats et longs.
- 10Le premier président de la chambre des comptes, qu’on dit vendu à la cour.
- 11M. de Soissons ayant répondu à M. de Verdun, qui citait continuellement le cardinal du Perron en faveur des jésuites, que c’était un fripon à ne point citer, celui-ci répliqua à M. de Fitz-James, que c’était lui qui en était un.
- 12M. de Jarente.
- 13Étant évêque de Digne, il avait été contre les jésuites.
- 14Mademoiselle de Jarente, qui demeure chez son oncle.
- 15Il a la feuille des bénéfices.
- 16On a retranché ici quelques couplets qui ne signifient pas grand’chose.
- 17Le général des jésuites.
- 18Le général n’a voulu entendre à aucune réforme concernant sa société ; il a répondu au roi qui lui proposait la réforme de son ordre : sint ut sunt, aut non sint.
Mémoires secrets, I, 33-36