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Chanson sur M. de Voyer d’Argenson à l'occasion des affaires du temps

M. de Voyer d’Argenson
Monsieur de Voyer d’Argenson
Soutient l’honneur de sa maison ;
Il profite de la misère
D’un pauvre public indigent ;
Jadis son bonhomme de père
Pour s’enrichir en fit autant.

Il exile nos magistrats
Pour couvrir ses noirs attentats ;
Il s’engraisse de la substance
De la veuve et de l’orphelin,
Et le peuple, dans l’abondance,
Périt de misère et de faim.

Il tient sous sa protection
La nouvelle religion.
Le prélat, l’homme de finance,
Filles de joie et moinillon
Lui font la même révérence ;
Il les soutient : il a raison.

Le drôle rit en tapinois
Du bon janséniste aux abois ;
Il nargue Thémis exilée.
A la barbe des magistrats ;
De l’ignorance conviée
Il fait un sénat de Midas1 .

Sur un fauteuil, les bras croisés,
De leur figure embarrassés,
Ils restent longtemps à rien faire ;
L’audience ouvre, on entre, on sort,
Point d’avocats, aucune affaire,
Le président2 bâille et s’endort.

Il ne faut pas beaucoup d’efforts
Pour dévoiler tous les ressorts
De cette machine effroyable
Par qui nous sommes écrasés ;
Ces obscurs compagnons du diable
Y sont les seuls intéressés.

En voyant ces vils forcenés
Au fond du Tartare engendrés,
Est-il quelqu’un qui ne s’écrie :
Hélas ! que le sauveur Jésus
Est en mauvaise compagnie,
Il devrait bien en être exclu.

Le pesant petit magistrat
Au cerveau vide, au long rabat,
Fait de la publique misère
Son unique occupation ;
Tout bonnement le pauvre hère
Ternit l’éclat de sa maison.

De Beaumont, vil adulateur,
Il se déclare protecteur,
Pille, saccage tout en France
Pour une Constitution,
Tandis que sa grasse Éminence
A table fait son oraison.

Mais chut ! des ministres d’État
Voyons l’erreur, n’en parlons pas.
Ils pourraient, émouvant leur bile,
Envoyer sans rime et raison
Le chansonnier à la Bastille,
Mettre en musique sa chanson.

  • 1Lorsque la Grand-chambre fut exilée à Soissons, en novembre 1753, on remplaça la chambre des vacations, précédemment établie, par une juridiction nouvelle destinée à suppléer le Parlement. « Elle reçut le titre de Chambre royale ; elle siégea au Louvre, au lieu de siéger aux Augustins, et n’en fut pas mieux accueillie du public. On envoya des lettres de cachet à tous les membres du Châtelet pour enregistrer sous le nom de Chambre royale ce qu’on n’avait pas voulu enregistrer sous le nom de vacations. Tout Paris s’obstina à tourner la Chambre en ridicule ; elle s’y accoutuma si bien qu’elle‑même s’assembla quelquefois en riant et qu’elle plaisantait de ses arrêts. » (Voltaire, Histoire du Parlement.) (R)
  • 2Le président de Brou. (M.) (R)

Numéro
$1134


Année
1754 / Novembre 1753 (Arsenal 2964, F.Fr.10479)




Références

Raunié, VII,236-39 - F.Fr.10479, f°303-304 - NAF.9184, p.450-51 - Arsenal 2964, f°193r-194r - Arsenal 4844, f°202v-203v