Parodie des premiers vers d’Athalie, tragédie de Monsieur Racine
Parodie des premiers vers d’Athalie, tragédie de Monsieur Racine
Philène
Guidé par la coutume à présent solennelle,
Plein de reconnaissance à la Bulle, fidèle,
Je célèbre avec vous la fameuse journée
Où par notre Saint-père elle nous fut donnée.
Que les temps sont changés ! Avant cet heureux jour
Nous ne pouvions au Ciel monter [ill.] des amours,
Mais grâces aux détours de nos pieux Jésuites
De ce pesant fardeau nous sommes enfin quittes.
Aujourd’hui par leurs mains un pénitent conduit
D’un amour qu’il n’a point recueillera le fruit
De nos cœurs embrasés sans t’offrir les prémices,
Sans te faire, O mon Dieu, les moindres sacrifices.
Même sans te prier, de ton puissant secours
Nous sentirons en nous les effets tous les jours.
Des vieux adorateurs à peine un petit nombre
Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre.
Le reste pour saint Paul montre un mépris piquant,
Aux Bissys, aux Languets s’attache uniquement,
Et n’ayant nul respect pour nos sacrés mystères
Se moque de la foi qui conduisait nos pères.
De plus le jour approche, à ne nous rien cacher,
Des autels Colbert1 se voyant arracher
Et de sa liberté perdant les tristes restes
De la Cour grossira les vengeances funestes.
Théophile
Ah ! je n’en crois que trop ce noir pressentiment.
Pense-t-il servir Dieu, l’aimer impunément ?
Fleury craint dès longtemps cette piété pure
Dont le fameux Colbert orne la prélature ;
Dès longtemps son amour pour la religion
Est traité de révolte et de sédition.
Du mérite éclatant l’Éminence jalouse2
Hait les opinions que ce prélat épouse.
Si du culte ancien Colbert est défenseur
De la fameuse Bulle Hercule est protecteur.
Le chancelier d’ailleurs, ministre sacrilège,
Plus méchant que Fleury, à toute heure l’assiège.
De son premier parti zélé persécuteur,
Il voit de la vertu le règne avec horreur.
C’est peu que le cœur plein d’une loi étrangère,
Il prête à Molina son fatal ministère,
Le juste l’importune et son impiété
Voudrait anéantir Colbert qu’il a quitté.
Pour le perdre il n’est point de ressort qu’il ne joue.
Quelquefois il le plaint, souvent même il le loue,
Il affecte pour lui une feinte douceur
Et par là, de son fiel colorant la noirceur,
Quelquefois à Fleury il le peint redoutable.
En sachant qu’en effet Colbert n’est point coupable,
Il suppose, et c’est là le comble des forfaits,
Des crimes à Colbert que jamais il n’a faits.
De quel trouble secret mon âme est agitée ?
Saint prélat, c’en est fait et ta perte est jurée.
Ton malheur est certain, je n’en puis plus douter
Et la foudre sur toi dans l’instant va tomber.
Traîtres, que faites-vous ? avec quelle furie
Traversez-vous le cours d’une si belle vie ?
Vos cœurs, vos lâches cœurs, ne sont-ils pas pour lui ?
Ils sont sourds à ma voix, leur dessein accompli
Augmente mes douleurs. Mais non, Dieu secourable,
Tu tendras à Colbert une main secourable,
En ton appui suprême il faut nous reposer.
Avoir quelque autre espoir, hélas ! c’est s’abuser,
Contre ses ennemis si tu prends sa défense
Qu’il goûte sans frayeur une douce espérance.
Celui qui met un frein à la fureur des flots
Saura bien des méchants arrêter les complots.
Quoi qu’il en soit, soumis à ta volonté sainte,
Il te craint, O mon Dieu, et n’a point d’autre crainte.
Stromates, I,31-32 - Arsenal 2962, p.292-95 - Arsenal 3133, p.88-91