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Déclaration de M. le Prieur après sa signature du Formulaire

Déclaration de M. le prieur

après sa signature du Formulaire 1

Quand tout le monde signerait,

Personne ne s’accommoderait :

Les uns signant par complaisance,

Les autres par soumission,

Beaucoup par émulation,

La plupart par obéissance,

Une infinité par respect,

Grande quantité par contrainte,

Plusieurs par un esprit sujet,

Trop par une excessive crainte,

Quelques peu par humilité,

Plus qu’il n’en faut par espérance,

Un grand nombre par ignorance,

Personne pour la vérité.

Contre Jansénius je signe sur-le-champ,

Tout mon bénéfice en dépend,

Et je le perds si je m’abstiens.

Je signe donc de bonne foi.

On voit aussi que quand je signe,

C’est moins contre lui que pour moi.

En même temps que j’ai signé,

Un de mes amis étonné

Me veut accuser d’injustice.

et me dit : qu'avez-vous fait ?

Ami, dit-il, qu’avez-vous fait ?

Ami, lui dis-je, un fort bon trait.

J’ai conservé mon bénéfice.

Signe, ne signe pas, tout cela est égal.

Le jansénisme n’étant rien,

Il est aussi certain que n’est pas un mal,

Comme il est assuré que ce n’est pas un bien,

Que c’est injustement blâmer sa signature.

Sans elle on n’entre point dans la cléricature,

Et l’on peut dire assurément

Que c’est la seconde tonsure

Et le huitième sacrement.

Je me trouve en un mauvais pas :

Si je signe une fois, je fais une injustice ;

Aussi, d’autre côté, si je ne signe pas,

Il ne faut espérer ni rang ni bénéfice.

Que faire en cette extrémité ?

Il faut signer sans résistance

Et perdre un peu de charité

Pour conserver l’espérance.

Contre toute justice et contre toute raison

Je vais condamner un grand homme.

Mais d’un crime qui plaît à Rome,

L’on a facilement pardon.

Certain gardien à barbe grise

Me dit avec des mots pressants :

Il faut condamner sans remise

Jansenius en son vrai sens.

N’attendez pas de moi de savoir ce que c’est.

Je ne suis pas si téméraire

Que d’entreprendre de vous faire

Ce que le pape n’a point fait.

Je tins longtemps sur ce malheureux point.

Mais voyant qu’il faudrait abandonner la ville,

Qu’on proscrirait tous ceux qui ne signeraient point

Et qu’on les enverrait bientôt à la Bastille :

Soyons plutôt du nombre des souscrits

Qu’au rang des malheureux proscrits.

Enfin, par ma souscription

Je n’en veux qu’à mon bénéfice.

On dit que c’est une injustice,

Et moi, que c’est précaution.

Je veux bien avancer ce point :

Si j’avais pu sans signature

Conserver ma petite cure,

J’aurais été de ceux qui ne signeront point.

Car, à vous parler sans surprise,

Ils ont la vérité pour eux.

Leur sentiment est généreux

Et c’est tout l’esprit de l’Église.

Mais avec le spirituel

Il faut un peu de temporel.

Contre Jansenius cette main va souscrire :

C’est le plus hérétique et le plus dissolu ;

Non que je l’ai vu ni lu.

Si je le sais, c’est par ouï-dire.

Quoi, prieur, me dit-on, vous faisiez l’obstiné ?

Pourquoi donc avez-vous signé ?

C’est pour faire enrager tout le corps moliniste,

Qui sans doute a plus mal au cœur

De ma qualité de prieur

Que de celle de janséniste.

  • 1Autre titre: Satire contre la signature du Formulaire

Numéro
$4479


Année
1730




Références

Clairambault, F.Fr.12700, p.89-91 - Maurepas, F.Fr.12632, p.85-87 -  F.Fr.9532, f°263v-264r - F.Fr.10286 (Barbier), f°137-38 - F.Fr.12500, p.170-72 -F.Fr.15146, p.347-53 -  NAF.2483, p.185-86

 


Notes

Nombreuses variantes et ordre différent (F.Fr.12700)