Les Gémissements de la France
Les gémissements de la France
Que deviendra donc notre France ?
Hélas ! mon Dieu,
On n'y voit plus que violence
Presqu'en tous lieux,
Interdit, exil et prison,
Insulte, outrage,
Fruit de la Constitution,
Des jésuites l'ouvrage.
De l'ancienne Sorbonne on chasse
Tout bon docteur1
,
Il n'y reste que la Carcasse2
Qui fait horreur.
Du pieux Durieux l'on détruit
La sainte école3
;
Toutes tes sources l'on tarit,
O divine parole !
Nos plus éclatantes lumières
Sous le boisseau,
Font voir en terres étrangères
Maint autre Arnauld.
Les amis de la vérité
Et de l'Église
Sont tenus en captivité ;
Peuples, quelle surprise !
Cher Desessarts4
, quel est ton crime ?
Chacun le sait.
La charité, dont Dieu t'anime,
Fut ton forfait.
Qu'un abbé nourrisse des chiens,
En cour il brille ;
Pour avoir nourri des chrétiens
Tu souffres la Bastille.
Mais qu'ont fait Joubert5
et Nivelle6
Pour être pris ?
Ils ont expliqué, pleins de zèle,
Les saints Écrits.
Est-ce un mal de t'interpréter,
Sainte Écriture ?
Est-ce un mal d'en faciliter
Au peuple la lecture ?
Pour sa piété l'on soupçonne
Un crocheteur ;
Sans autre crime on l'emprisonne
Comme un voleur ;
On frappe, sans distinction
De sexe et d'âge,
Des saints dont la religion
Fait l'unique partage
Fidéles, frémissez de crainte,
Vos directeurs
Vous sont enlevés par contrainte,
Et vos pasteurs ;
Vous êtes livrés à des loups
Pour vous conduire,
Ils vous paraissent bons et doux,
Mais c'est pour vous séduire.
Ils feront régner l'ignorance,
La fausse paix ;
Élargiront les consciences
Par leurs délais.
Ils flattent d'un fatal repos
Loin des alarmes,
Mais suivront d'effroyables maux
Et d'éternelles larmes.
Préservez-moi par votre grâce,
O mon Sauveur !
Du loup qui s'ingère à la place
De mon pasteur.
Plutôt mourir que d'accepter
La bulle inique
Que l'on voudrait substituer
A la foi catholique.
Saints confesseurs, par vos prières
Soutenez-nous ;
Par votre exemple et vos lumières,
Instruisez-nous ;
Conservés dans la vérité
Par vos souffrances,
Nous vivrons dans la charité
Formés par l'espérance.
- 1Au prima mensis de novembre, le syndic de Sorbonne, Romigny, en vertu d'une lettre de cachet, ôta toute voix active et passive et même les émoluments, à tous les docteurs qui avaient appelé depuis 1720, ou qui avaient adhéré aux lettres pastorales des évêques de Montpellier et de Senez. Grâce à cette mesure, et malgré les protestations des docteurs exclus, la Constitution fut reçue. (R)
- 2« La faculté de théologie, ainsi dénuée de ses membres les plus éclairés et les plus intrépides, reçut la dénomination burlesque de Carcasse image allégorique de son état nul ou passif. Ce n'était plus ce corps scientifique, I'oracle de la France, en matière de doctrine, dont toute l'Europe et le monde chrétien respectaient et admiraient les décisions : assemblage de membres pusillanimes, intimidés par les menaces, ou d'ambitieux ardents, éblouis par les promesses, c'était un simulacre vain, dont l'intrigue faisait mouvoir et dirigeait les ressorts. » (Vie privée de Louis XV.) (R)
- 3Durieux, docteur de Sorbonne et principal du collège du Plessis, avait continué la libéralité du chanoine Gillot en faveur des deux cents pauvres écoliers élevés à Sainte‑Barbe. (R)
- 4L'aîné des deux frères Desessarts, Alexis, prêtre du diocèse de Paris, s'était fait remarquer par son opposition à la bulle. (R)
- 5L'abbé François de Joubert, soupçonné de collaboration aux Nouvelles ecclésiastiques, fut enfermé à la Bastille le 14 novembre 1730, et en sortit le 23 décembre, pour être exilé à Montpellier. (R)
- 6L'abbé Gabriel‑Nicolas Nivelle, agent zélé du jansénisme, fut enfermé quatre mois à la Bastille, pour avoir colporté chez les curés de Paris une requête anticonstitutionnaire. (R)
Raunié, V,234-38 -Clairambault, F.Fr.12700 p.325-28 -Maurepas, F.Fr.12632, p.191-94 - F.Fr.13660, f°148-49 - F.Fr.15144, p.182-88 - Mazarine Castries 3985, p.381-85
Très proche de $0708 avec qui il partage le même début et la même inspiration.