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Parodie sur les dernières scènes de la tragédie d'Esther

Parodie sur les dernières scènes de la tragédie d'Esther
par M. Racine

M. d'Aguesseau ouvre la scène.
D'un juste étonnement je demeure frappé :
Les amis de Quesnel m'ont trahi, m'ont trompé.
Mais j'atteste du ciel la suprême puissance,
De ce prêtre exilé, si je fus la défense,
Si mes desseins divers tendaient tous à ce but.
Du royaume par là je cherchais le salut.
Mais on compte pour rien ce zèle qui m'anime
Et du pape irrité je deviens la victime.
Seigneur, en ma faveur montrez votre crédit.
Par un tendre regard, rassurez mon esprit.
Vous connaissez le roi, quand on veut on l'arrête.
Ah ! Prince, détournez cette affreuse tempête.
Pour le droit des Romains, nous serons très zélés.
Parlez, leurs ennemis aussitôt exilés.
Victime de la foi que ma bouche vous jure
De ma fatale erreur répareront l'injure
Parlez, seigneur.

M. le Duc d'Orléans
                           Ministre inutile à ton roi,
Va, Rome n'attend rien d'un homme tel que toi.
Ne fus-tu pas l'auteur de ce décret infâme
Que le monde chrétien, que moi-même je blâme ?
Ah ! Comment confonds-tu la foi, la vérité,
Avec le quesnellisme, avec la fausseté ?
Par tes ordres secrets, tous les sénats de France
N'ont-ils point de Clément avili la puissance ?
Oui, si nous eussions eu pour Régent d'Aguesseau,
La bulle aurait passé par les mains du bourreau.
Misérable, le dieu vengeur de l'innocence,
Tout prêt à te juger tient déjà sa balance.
Bientôt son juste arrêt te sera prononcé.
Tremble, ton heure approche, et ton règne est passé.

M. d'Aguesseau
Oui, ce dieu, je l'avoue, est un dieu redoutable.
Mais pour les affligés, il est doux, exorable.
C'en est fait, mon orgueil est forcé de plier,
Le puissant d'Aguesseau se réduit à prier.
Par la foi des Romains, par ces pieds que j'embrasse,
Par l'amour que je porte à la grâce efficace.
Ah ! Daignez de mon prince apaiser le courroux,
Sauvez un malheureux qui tremble à vos genoux.

M. le Duc d'Orléans
Ton roi ne souffre pas chez soi des fourberies.
Dans tes yeux égarés, je lis les industries
Et ton trouble, appuyant des Romains les discours
De ta mauvaise foi, me rappelle le cours.
Va, pars, rends-moi les sceaux, loin d'ici qu'on l'emmène.
Et qu'il traîne ses jours à son château de Fresnes,
Où, content de son sort, éloigné de mes yeux,
Il apaise sur lui la colère des cieux.
Mais toi, sage mortel, mon salut et ma joie,
Aux Conseils des méchants ton roi n'est plus en proie.
Mes yeux sont dessillés, le crime est confondu.
Viens briller près le roi, dans le rang qui t'est dû,
Remplace d'Aguesseau, tu seras ma défense ;
Exerce justement son injuste puissance.
Je veux voir les Français à l'Église soumis
Et je veux qu'on confonde en tout ses ennemis.
Qu'on célèbre de Rome, et l'honneur et la gloire,
Et qu'à toujours mon nom vive dans leur mémoire.

M. d'Argenson
Prince, qu'à jamais Dieu prenne soin de vos jours.
L'Église est en danger, et veut un prompt secours.

M. le Duc d'Orléans
Oui, je t'entends. Allons, par des ordres contraires
Révoquer les édits, surpris par les sectaires.

M. d'Argenson
Ô Dieu, par quelle route inconnue aux mortels
Ta sagesse conduit ses desseins éternels ?

 

Numéro
$3388


Année
1718




Références

Clairambault, F.Fr. 12697, p.25-27 - Maurepas, F.Fr.12629, p.241-44 - Arsenal 2961, p.451-55 - Arsenal 3132, p.343-46


Notes

Parodie sur les dernières scènes de la tragédie d'Esther de M. Racine, où l'on trouve le parallèle de M d'Aguesseau, chancelier de France, avec Aman, faux roi (?) d'Assuérus Suivi de $3389