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Relation d’Astaroth

Relation d’Astaroth

Astaroth, au soir, de retour

Dans l’infernal et noir séjour,

À Lucifer voulant complaire,

Racontait ses hauts faits sur terre.

J’ai, dit-il, pour servir mon roi,

Des enfers étendu la loi.

D’abord j’ai changé l’Évangile,

Et présidant dans un concile

Dont j’avais moi-même arrangé

Ce qui devait être jugé,

Pour détruire un vieux personnage

Qui nous refusait son hommage,

Et se croyait en sûreté

Par un appel interjeté.

Mais pour cet attentat énorme

Les moines, pour observer leur forme,

L’ont expulsé de sa maison

Et mis dans un cloître en prison.

J’avais aussi pris un bon drôle

Pour y jouer le premier rôle.

En grand agioteur jadis

Du temps du système jadis [sic].

Remarquant encore qu’on se moque

D’un fameux docteur à la coque,

De vos droits le ferme soutien,

Je l’ai fait élever soudain

Et placer en lieu plus sublime,

Afin qu’un peu plus on estime

Ses lascives expressions

Qu’il nomme révélations.

Par treize juges à ma guise

J’ai fait échouer l’entreprise

De ceux qui, pour vous sans égard,

Vont accuser le père Girard.

Des Girardins la compagnie

N’est déjà que trop avilie,

Comme chez tous les gens d’honneur

N’est prononcé qu’avec horreur.

Ainsi leur faisons-nous sans cesse

Faire trop de tours de bassesse,

Et s’ils étaient moins remuants

Ils devraient se calmer en temps.

Mais quoi que je leur représente,

Tout leur est bon et tout les tente.

Comme ils sont sûrs de leurs appuis,

Ils ne craignent rien aujourd’hui.

De plus j’ai semé dans le monde

Des mandements sur quoi je fonde

Un grand espoir pour l’avenir.

La cour, au lieu de les flétrir,

Quoiqu’elle en sente l’artifice,

Sous ombre de rendre justice

Les supprime publiquement

Et les soutient secrètement.

Le chancelier que je protège

Est l’inventeur de ce manège.

Le garde des Sceaux, notre ami,

En cela seul prend son parti,

Ce qui me flatte et me fait croire

Que nous touchons à la victoire,

Quoiqu’en dise le parlement

Que j’ai réduit jusqu’au néant,

Lui faisant imposer silence

Sans écouter de remontrance.

J’avais encore contre moi

Un nommé Pâris dont la foi

À mes projets faisait obstacle.

À sa tombe on criait miracle

Des sourds, des muets, des boiteux

Y venaient rendre grâce aux cieux.

Et d’autres, haut comme les anges,

En chœur annonçaient les louanges.

Les uns s’en retournaient guéris,

D’autres poussaient encore des cris,

Enduraient avec patience

Leurs maux comme une pénitence

Que tout pécheur doit accepter

Avant que de se présenter.

Voilà, pensai-je, un grand désordre ;

Je ne savais comment y mordre

Pour arrêter ce grand concours

Que j’y remarquais tous les jours.

Je m’adressai d’abord à Rome,

Et là, comme d’un méchant homme

Je fis enfin jeter au feu

La vie de cet homme de Dieu.

Je croyais faire un coup habile.

Mais cela me fut inutile.

À ce tombeau l’empressement

En fut encore plus véhément.

Je me souvins qu’en maléfice

Certain lieutenant de police

Nous avait déjà bien servi

Lorsqu’il était de nos amis ;

Qu'à Sainte-Barbe il fit des crimes

De ne point suivre nos maximes

Et remplacer tous ces savants

Par un grand nombre de nos gens ;

Qu’avec une ardeur sans pareille

Aux trente-trois c’était merveille

D’entendre ses raisonnements,

Sans parler d’autres jugements

Toujours au gré de notre envie.

Voilà, dis-je, mort de ma vie,

Un homme d’expédition

Et ferme dans l’occasion.

Je lui dis donc : cher camarade,

Pouvons-nous souffrir la bravade

Que ce petit diacre nous fait ?

J’y pense, dit-il, en effet.

N’ayant pas besoin de l’instruire,

Je le laissai sans lui rien dire,

Et j’appris dès le lendemain

Que lui-même envoyait sous main

Des malheureux de toute espèce

Qui sur la tombe avec souplesse

Faisaient mille contorsions

Et feignaient des convulsions

Que l’on racontait par la ville,

Puis, sans tarder, à la Bastille

On conduisait les libertins

Où chirurgiens, où médecins

Après une exacte visite

Sont tombés d’accord tout de suite

Que la plupart se portaient bien,

Ou bien que leurs maux n’étaient rien.

Sur quoi ces mêmes misérables,

Avouant qu’ils étaient coupables,

Par des postures ont montré

Qu’ils se tourmentaient à leur gré.

Dont procès-verbaux d’écriture

Munis de force signatures

Ont été dressés sur-le-champ

Et distribués sourdement,

Afin qu’en tous lieux on publie

Que ce n’est qu’erreur et folie,

Que tous ces miracles vantés

Par des appelants entêtés.

En ayant reconnu la ruse,

Par où les simples on abuse,

Partant cette dévotion

Passera pour illusion,

D’autant plus que dans ce temps même,

En vertu d’un ordre suprême,

Du cimetière on a fermé

La porte avec célérité

Pour empêcher la populace

D’aller à Dieu demander grâce.

Et s’il arrivait par hasard

Dans l’église de Saint-Médard

La moindre guérison soudaine,

D’abord la prison est certaine

Car des archers y régleront

Les prières qui s’y feront.

Ce trait, ainsi que tu l’expliques,

Me semble fin et politique

Reprit Lucifer, mais enfin

De ces fripons quelle est la fin ?

Ont-ils subi quelque supplice ?

C’eût été trop dure justice,

Dit Astaroth, car ils savaient

Qu’aucun mal ils ne souffriraient,

Mais remporteraient au contraire

Quelques louis pour leur salaire.

Tu crois donc les Français bien sots,

Cria Lucifer aussitôt,

Bien loin d’en tirer avantage

Cela tourne à notre dommage.

Dès que sans tache ils sont sortis,

Ce ne sont pas des ennemis.

Abusé par son trop de zèle,

Ton juge a manqué de cervelle.

Ignorait-il qu’on le connaît

Pour n’être pas ce qu’il paraît ?

Quoi, pour des fautes très légères

Il met au carcan, aux galères,

Des innocents trouvés munis

Du portrait du saint, ou d’écrits,

Tandis qu’il sera pacifique,

Opposé à ceux de sa clique,

Et donnera rémission

À gens par leur confession

Convaincus de supercherie

De sacrilège, fourberie,

Et de miracles supposés

Dont les chrétiens sont abusés.

Penses-tu qu’on soit assez bête

Pour ne pas voir que dans sa tête

Il croyait ce tour effectif ?

Mais il est si faux ce bétif [sic]

Qu’il ne pourra tromper personne.

Le public instruit qui raisonne

Dira : le juste, il le punit ;

Le criminel il l’affranchit.

La raison en est toute claire :

C’est que lui-même il la fait faire

Pour mieux autoriser par là

Les sectateurs de Loyola,

Et mettre au rang des mêmes fables

Tous les miracles véritables.

Numéro
$4484


Année
1731




Références

Stromates, I, 201-07 - BHVP, MS 664, f°202v-223r - Mazarine, 3971, p.301-15


Notes

Le contexte permet de dater avec une quasi certitude.