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Mandement de M. l’évêque de Bethléem

Mandement de M. l’évêque de Bethléem
Jacques, évêque de Bethléem,
Suffragant de Jérusalem,
À ceux de notre diocèse,
Gens comme nous mal à leur aise,
Espoir et consolation,
Salut et béndiction.
Puisqu’à tout propos, sans synode,
Les mandements sont à la mode ;
Que Gap, la Rochelle et Luçon
Aux cardinaux font la leçon,
Que dans Paris jusqu’aux corniches
Tout est couvert de leurs affiches,
Et que sans ce lustre un prélat
Chez ses confrères n’est qu’un fat ;
Comme eux je dois en conscience
Faire preuve de ma science.
Sachant donc tous que je proscris
De Jansénius les écrits.
Contre lui tout prélat fidèle
Doit faire paraître son zèle,
Ses sectateurs pareillement.
Je proscris par ce mandement
Gens qui prétendent que la grâce
Est une puissance efficace.
L’Hermineur, Haber et Juenin,
Fabricateurs de ce venin,
Sont en cela des plus coupables.
Autres empoisonneurs damnables
Sont Pascal, Mons et Saint-Cyran.
Je les livre tous à Satan,
Frappant de pareils anathèmes
De Gerberon les noirs blasphèmes.
Plus on fait à la loi de tort,
Plus on doit frapper fort.
De plus, suivant l’exemple rare
D’un confrère qui bien s’en pare,
J’ordonne qu’on laisse à l’écart
Tous les livres d’Augustin, car
Partout pour juge on le récuse,
Et c’est à bon droit qu’on l’accuse
D’être si haut et si profond
Que c’est un abîme sans fond ;
Qu’en cent matières il raisonne
Sans être entendu de personne,
Plus obscur toujours se rendant ;
Bref, qu’on le laisse en attendant,
Et si quelqu’un veut nous répondre
En deux mots je vais le confondre
En disant qu’il fut jadis bon,
Mais qu’il ne l’est plus. Pourquoi non ?
C’est parce qu’il tient sur nos listes
Le rang de chef des jensinistres,
Que pour être trop aheurté
À soumettre la liberté
À l’autorité triomphante
D’une grâce toute puissante
Et pour trop prêcher aux humains
Le besoin des secours divins.
Plus, il n’est docteur de la grâce,
Le grand Molina prend sa place,
Molina docteur si vanté,
L’astre de la Société,
Molina qui nous fait entendre
Ce que saint Paul n’a su comprendre.
Pour rendre l’acte solennel
Je condamne encore Quesnel,
Quesnel le révolté, l’impie,
Ce monstre fameux d’hérésie.
N’en déplaise à l’approbateur
Aveuglé par cet imposteur,
Peut-on le lire sans scandale ?
Un roi, fût-il Sardanapale,
Un Caligule, un vrai Néron,
On doit le servir comme bon.
Contre lui pour toute vengeance
Il faut s’armer de patience,
Se soumettre de tout son cœur
Si l’on en croit ce bel auteur.
Doit-on, dans le siècle où nous sommes,
S’éloigner de ces savants hommes,
De ces hauts et rares esprits
Qui pour signaler leurs écrits
Ont mis selon les cironstances
Suivant leurs doctes connaissances
Sur les maximes de Quesnel
La pratique de Jean Châtel ?
Si ce que Quesnel dit doit être,
Un roi n’aura donc point de maître ?
Le pape même qui peut tout
N’en pourra pas venir à bout ?
Il faudra qu’il le laisse faire
Et ne pourra plus le Saint Père
Donner au premier occupant
Son royaume comme vacant.
Aussi Rome, toujours si sage,
A bien su venger cet outrage ;
Quesnel sans contradiction
A reçu condamnation.
Pour Nicole, Arnaud et semblables,
Ce sont gens non moins condamnables,
Puisqu’il est vrai, comme on le dit,
Que tout ensemble ils l’ont écrit,
Que neuf ou dix jours de retraite
N’est pas un intervalle honnête,
Entre mille péchés mortels
Et le sacrement des autels
Que veulent-ils donc que l’on fasse ?
Faut-il qu’un confesseur se glace
En attendant des pénitents
D’un trop long délai mécontents ?
J’aime autant fermer nos églises
Si ce n’est qu’à quelques sœurs grises
Et bannir les dévotions,
Les fréquentes communions
Où nous voyons si grande presse.
Adieu, sacrements, adieu messe,
Adieu nos célèbres docteurs,
Nos causuistes, nos auteurs,
Gens si bénins à la nature
Qu’ils donnent la gloire future
À qui pratique l’Alcoran,
Comme on le vit ce dernier an,
Qui joignent à la sainte vie
Et le monde et l’idolâtrie,
Pourvu, disent-ils, seulement
Qu’on serve Dieu secrètement.
À ces causes, sans plus attendre,
Nous entendons ici défendre
Qu’on ne lise dorénavant
Les livres nommés ci-devant.
Ordonnons que qui les publie
Soit tenu suspect d’hérésie
Voulons qu’on lise Molina
Bauny, Vasquez et Diana.
Escobar est un très bon livre
Où nous apprenons à bien vivre ;
Approuvons encore Tambourin,
Suarez, Sanche avec Cossin,
Tous docteurs graves où l’on trouve
Les dogmes que le monde approuve :
Les probables opinions,
Les commodes restrictions,
Les favorables équivoques,
Les sobres et chastes colloques
Des vingt et quatre renommés
Et du paradis les cent clefs.
Faisant très expresses défenses
De rire de ces ordonnances,
Soit le mandement affiché
Aux quatre coins de l’évêché,
Sur les rives de la Garonne
Et sur les bancs de la Sorbonne.
Qu’à la cour il fasse du bruit
Et qu’il nous soit de quelque fruit ;
Qu’il nous vaille quelque abbaye
Pour faire un peu meilleure vie.
Fait et publié l’an précis
De Jésus mille sept cent dix,
L’an de Jésus, non l’an de grâce,
Erreur qu’encor d’ici j’efface ;
La grâce se prend de plus haut
Et pour en parler comme il faut
Depuis Adam elle est au monde.
Qui dit que non, très mal se fonde.
Nous l’avons tous et promptement
En tout pays, à tout moment.
Avec Adam on l’a reçue
Avant du Sauveur la venue.
Soit donc le calcul corrigé
Par le peuple et par le clergé.
Menaçons de notre disgrâce
Quiconque dira l’an de grâce
Fait encore un coup l’an précis
De Jésus mille sept cent dix.
Signé Jacques, plus bas Hilaire,
De Monseigneur le secrétaire.

 

Numéro
$3954


Année
1710




Références

Arsenal 2975, p.7-10 - Arsenal 3128, f°124v-127v - BHVP, MS 602, f°6v-7r - BHVP 652, p.119-150 (avec notes tèrs détaillées) - Lille BM, MS 70, p.9-20 - Toulouse BM, MS 861, p.103


Notes

Une version complètement différente en $3735. Seuls les deux premiers vers sont communs. Lille 70 précise à propos de la version de 1713 : Mandement de M. l'évêque de Bethléem, nouvelle édition revue, corrigée et par lui-même. Voir encore $6862. Tous trois forment des variations sur un même thème.