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La Discussion du Parlement

La discussion du Parlement1
La grand'chambre du Parlement2 ,
Enregistra furtivement
Des patentes qu'on envoya,
Alleluia !

Les enquêtes l'ayant appris,
Le trouble fut dans les esprits,
Au cabinet on s'assembla.

Or, en ce lieu si redouté,
Dans le temps de minorité,
Fort longtemps on délibéra3 .

Après avoir bien discouru,
Vers la grand'chambre on a couru,
Où pêle-mêle l'on entra.

Les enquêtes, à haute voix
Crièrent toutes à la fois :
Quel chien d'arrêt a-t-on fait là ?

Parbleu, vous êtes de vieux fous,
D'enregistrer les quatre sous4 ;
Le peuple vous lapidera.

Or, quant au premier président,
Qui nous a vendus au Régent,
Le traître s'en repentira5 .

Or donc que votre arrêt fichu
Nous serve à tous de torchecul.
De Mesme après s'en mouchera.

La grand'chambre cria merci !
Messieurs, pardonnez-nous ceci,
Jamais on n'y retournera.

Quoi donc ! nous trouvez-vous si mous,
Lorsqu'il faut porter de grands coups ?
Maître Clément vous l'apprendra.

Trouvez-vous qu'on ait bien traité
Le décret de Sa Sainteté6 ?
Dès qu'il parut, on le sangla.

Et quand on vit le fol écrit
De cet archevêque proscrit7 ,
La main du bourreau le brûla.

Nous passons, à la vérité,
Nouveaux impôts, banques, traités ;
C'est bagatelle que cela.

Les autres dirent pour finir:
« Consultez-nous à l'avenir ;
Faites votre mea culpa. »

Là se bornèrent les exploits
De ces dignes tuteurs des rois ;
L'arrêt partout on publia.

Mais les Bretons refusent net,
Chacun opinant du bonnet,
Arrêt, patentes et cœtera.

Et bientôt pour le don gratuit
On dit que nous verrons beau bruit.
Jamais on ne l'accordera8 .

Cet exemple sera suivi,
Et chaque province a l'envi
A son tour se révoltera.

Tiers-état, noblesse, clergé,
Enfin, chacun est enragé ;
Bientôt le masque on lèvera.

Le feu va prendre aux quatre coins !
Mais Philippe n'en boit pas moins.
Rira bien qui dernier rira.

Avec la Banque le Régent
Veut être maître de l'argent ;
Il croit nous soumettre par là.

Puis il fait maint et maint traité
Pour s'assurer la royauté9  ;
Dieu sait après ce qu'il fera.

De nos rois, fidèles sujets,
Arrêtez les affreux projets !
Toute la France chantera
Alleluia !

  • 1Autre titre: Chanson sur le différend de la grand-chambre du parlement avec les Enquêtes (Arsenal 2961)
  • 2Le Parlement de Paris était divisé en grand-chambre, chambres des enquêtes, des requêtes et Tournelle criminelle. (R)
  • 3Les chambres des enquêtes et des requêtes étaient principalement composées de jeunes magistrats toujours disposés à prendre feu pour la défense de leurs prérogatives. Pendant la minorité de Louis XIV, c’était, suivant le mot de Duclos, la cohue des enquêtes qui, en demandant l’adjonction des cours supérieures, avait provoqué la Fronde parlementaire. (R)
  • 4On lit dans les Mémoires de la Régence : « Le 5 mars pour faciliter le payement des rentes de l’Hôtel de Ville, le Conseil d’État rétablit par un arrêt, pour trois années, l’imposition des quatre sols pour livre sur tous les droits des fermes générales et particulières de Sa Majesté. » La grand'chambre du Parlement avait enregistré l’arrêt, et les enquêtes protestaient contre un enregistrement auquel elles n’avaient eu nulle part. « Le 12 avril, écrit Dangeau, les chambres des enquêtes et des requêtes allèrent à la grand'chambre, où le président de Lamoignon présidait ; ils ont fait leurs protestations qu’ils ont laissées sur la table ; le greffier du Parlement ne les mettra pas sur ses registres. » Saint‑Simon remarque, à ce propos, que « cette querelle dans le Parlement n’est pas nouvelle. La grand'chambre a ses prétentions ; les autres chambres s’en offensent et ne prétendent pas être moins que la grand'chambre membres et parties intégrantes du Parlement, sans l’avis desquelles rien ne doit être censé enregistré par leur commun corps, qui est le Parlement. La grand'chambre répond que c’est à elle à qui il appartient de les faire, puisque c’est chez elle qu’ils se font, et les autres répliquent que le local ne lui donne aucun droit privatif à elles, puisque l’adresse est faite à tout le Parlement, dont elles sont comme la grand'chambre, qui n’a sur les autres chambres que la primauté du rang, et elles ajoutent qu’elles y sont toujours mandées lorsque le roi vient seoir. » (R)
  • 5« Le premier président de Mesmes, écrit Duclos, ne s’appliquait qu’à se maintenir entre sa compagnie et le Régent dont il tirait un argent prodigieux, qu’il dépensait avec une magnificence qui donne toujours de la considération. Le Régent le connaissait bien, mais il comptait en être maître à force d’argent, et qu’il ne s’agirait jamais que du prix. Il supposait que ce magistrat pouvait également retenir ou pousser sa compagnie, en quoi il se trompait. Aussi voyait‑on de Mesmes déserté par les enquêtes toutes les fois qu’il entreprenait de les contenir. Il en profitait alors pour tirer du Régent de nouvelles sommes, et ne ramenait les fugitifs qu’en participant à leurs excès. » Et il ajoute, dans une note : « Il y eut un jour une délibération par laquelle les enquêtes arrêtèrent que qui que ce fût n’irait chez le premier président que pour affaire indispensable et de l’aveu de la compagnie. Le président Hénault, qui lui était particulièrement attaché et de qui je tiens ces faits, l’étant allé voir en secret pour l’instruire de cette délibération : Vous les verrez tous demain chez moi, lui dit le premier président. En effet, ayant le lendemain montré de l’humeur contre le Régent, toute la cohue des enquêtes le suivit chez lui. » (R)
  • 6Le 28 mars le Parlement avait supprimé un Décret de l’inquisition de Rome du 15 février l718, portant condamnation de l’acte d’appel interjeté par quatre évêques, et de l’acte d’appel du cardinal de Noailles. (R)
  • 7La lettre de l’archevêque de Reims. (Cf p. supra Lettre de l’archevêque de Reims.) (R)
  • 8En décembre 1717, « à la demande d’un don gratuit, les États de Bretagne avaient répondu qu’ils ne pouvaient l’accorder sans auparavant avoir vu leurs fonds ; » et ils députèrent quatre d’entre eux pour présenter un mémoire au Régent. « Les députés eurent pour toute réponse qu’ils exhortassent leur corps à commencer par accorder le don gratuit et qu’on verrait ensuite ce qu’il y aurait à faire. » (Mémoires de la Régence.) (R)
  • 9Le traité de la Triple‑Alliance, en réglant la succession au trône de France conformément au traité d’Utrecht, écartait Philippe V, et assurait la couronne au Régent, en cas de mort de Louis XV. (R)

Numéro
$0294


Année
1718 (Castries)




Références

Raunié, III,55-60 - Clairambault, F.Fr.12697, p.77-80 - Maurepas, F.Fr.12629, p.297-301 - F.Fr.15141, p.95-99 - Arsenal 2961, p.485-90 - Arsenal 3132, p.371-74 - Mazarine Castries 3982, p. 89-97 - Besançon BM, MS 561, p.49-51


Notes

Relation de l'enregistrement ordonné au Parlement des qutre sols pour livre (Besançon)