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L'Église romaine. Ode / Ode sacrée

L’Église romaine1
Après que l’Église romaine
Se vit maîtresse souveraine
De la demeure des Césars,
Par leur aveuglement, par ses fourbes sacrées
Elle crut ajouter à ses riches contrées
Tout ce qu’ils possédaient par le secours de Mars.

Alors en luxe monarchique
De l’indigence apostolique
On vit l’énorme changement ;
Et foulant à ses pieds tous les rois de la terre
On vit les cheveux blancs du successeur de Pierre
D’une triple couronne emprunter l’ornement.

Soudain sa cour fut décorée
D’une vaine pourpre, ignorée
Des premiers disciples du Christ ;
Et ceux qui jusqu’alors avaient été ses frères
Eurent la lâcheté d’être ses tributaires
Par l’appât décevant que Rome leur offrit.

La seule église gallicane
De ce rang honteux et profane
Défendit toujours ses autels :
Et l’inutilité des foudres ridicules
Que lancèrent contre elle un Boniface, un Jules2
Fit voir leur imposture au reste des mortels.

Le Parlement et la Sorbonne
Furent une double colonne
Pour la mère des vrais chrétiens ;
Que de doutes levés par ces vivants oracles !
Combien le Vatican, jaloux de ses miracles,
Vit-il leurs jugements mieux reçus que les siens !

C’est alors qu’écumant de rage
Le roi de l’infernal rivage
Fit éclater son désespoir.
Quoi ! dit-il, l’hérésie est partout triomphante !
Rome de ce poison n’est même pas exempte,
Et dans la seule France on brave mon pouvoir.

Je veux, pour punir ce grand zèle,
Emprunter des armes contre elle
Chez ses plus cruels ennemis.
Et qu’aux enfers armés, le sein de l’Ibérie
Prête le seul fléau vengeur de sa patrie
Par qui je puis ternir la pureté des Iys.

Il dit et, plus prompt à la vue
Que l’éclair qui part de la nue,
Il franchit ces monts sourcilleux
Qui de deux grands États réciproques frontières
Semblent pour mettre entre eux d’éternelles barrières,
Élever jusqu’au ciel leurs sommets orgueilleux.

Bientôt il aperçoit Ignace
Qui d’un Maure suivait la trace
A travers les monts et les bois ;
De la mère de Dieu chevalier chimérique
Contre le mécréant sa valeur fanatique
Veut par un coup de lance en soutenir les droits.

L’habile tyran du Cocyte,
Arrêtant sa vaine poursuite,
Lui promet de plus grands exploits ;
Et pour le couronner d’une gloire
Il lui dicte le plan d’une secte nouvelle
Qui doit marcher un jour sur la tête des rois.

L’effet répond à la promesse ;
Des disciples de toute espèce
Viennent se ranger sous sa loi.
De la terre bientôt ils couvrent la surface
Et leurs dogmes nouveaux au sujet de la grâce
Corrigent l’Évangile et réforment la foi.

Les lys ennemis des impies
Crurent terrasser ces harpies
Par des jugements rigoureux :
Mais nos rois dont bientôt ils se rendent les maîtres,
Loin de venger sur eux le sang de leurs ancêtres,
Du soin de leur salut se reposent sur eux.

La foi commence à disparaître,
L’exemple du souverain maître
Entraîne bientôt tous les cœurs :
Et c’est par le canal de ces nouveaux arbitres
Qu’on voit les dignités, les honneurs et les titres
N’être plus dispensés qu’à leurs adulateurs.

D’Augustin traité d’anathème,
De l’apôtre des Gentils même,
Ils condamnent les saints écrits ;
Et du siège de Rome une bulle émanée
Traitant l’amour de Dieu de vaine et d’erronée,
De ce premier précepte affranchit les esprits.

Nos prélats lâches et perfides
De la pourpre romaine avides
Reçoivent ce dogme inconnu,
Et le seul Molina, docteur de l’Évangile,
Ouvre un chemin au ciel plus court et plus facile
Que celui qu’au vieux temps nos pères ont tenu.

Quatre seuls pasteurs dans la France
De ce venin par leur constance
Avaient garanti leurs troupeaux.
Mais la société ne veut point qu’on la brave.
Lafitau son élève, et Tencin son esclave,
Juges de ces martyrs, vont être leurs bourreaux.

Je vois un vieillard vénérable
De la cabale impitoyable
Subir les arrêts inhumains
Et par un jugement qui flétrit sa mémoire
Emporter dans l’exil le renom et la gloire
D’être mieux que Brutus le dernier des Romains3 .

Grand Dieu, c’est toi que l’on insulte ;
Les ennemis de ton vrai culte
N’en veulent pas demeurer là.
Tu ne peux rétablir ton pouvoir sur la terre
Qu’en les précipitant par un coup de tonnerre
Dans le fond du Tartare aux pieds de Loyola.

Oint du Seigneur, jeune monarque
Que des embûches de la Parque
Sa main a sauvé tant de fois ;
Si tu veux prévenir des effets plus sinistres,
Ne mets plus désormais au rang de tes ministres
Ceux qui sont plus soumis à Rome qu’à leurs rois.

  • 1Autre titres: Ode sur le faste et l'orgueil de la cour de Rome et l'ambition des jésuites, du mois de janvier 1728. Cette pièce est de Voltaire. (Arsenal 2962) Ode de M. de Voltaire sur le concile d'Embrun (Arsenal 3133) Ode satirique sur la cour de Rome (F.Fr.12500) Ode sur le jansénisme (Arsenal 3130). . D’après l’avocat Barbier cette pièce serait de Voltaire. Marais est d’un avis tout différent. « Il paraît, écrit‑il, une ode assez poétique qu’on attribue à Voltaire, mais elle n’est pas de lui, et je ne crois pas que dans l’état patient où il est, il voulût attaquer la Société et le ministre. » Les annotations des chansonniers confirment dans l'ensemble l’assertion de Barbier.
  • 2Boniface VIII, célèbre par ses démêlés avec Philippe le Bel, et Jules II qui, sous Louis XII, mit la France en interdit. (R)
  • 3Allusion à Soanen, condamné par le concile d’Embrun, à l’occasion duquel fut composée cette ode. (R)

Numéro
$0639


Année
1727 / 1731

Auteur
Voltaire ?



Références

Raunié, V, 122-27 - Clairambault, F.Fr. 12699, p.425-29 -Maurepas, F.Fr.12631, p.417-23 -  F.Fr.10286 (Barbier), f°74-75 - F.Fr.10476, f°173-75 -  F.Fr.12500, p.256-62 - F.Fr.12800, p.315-19 - F.Fr.15019, f°205-08 - F.Fr.15020, f°1178-81 -F.Fr.15145, p.187-96 -  NAF.9184, p.122-26 - Arsenal 2962, p.362-69 - Arsenal  2976, p.34-38 - Arsenal 3130, p.224-31 - Arsenal 3133, p.101-06  - Arsenal 3128, f°96r-97v et 270r-271v - Stromates, I, 377-82 - BHVP, MS 602, f°26r-27v - Mazarine 2356, f°18r - Lille BM, MS 67, p.270-77 - Académie de Lyon, MS 126, f°1-5 - Toulouse BM, MS 861, p.55-58


Notes

Ode de M. de Voltaire ou l'Ode sacrée (Maurepas) - e poème n'est certainement pas de Voltaire. Tout l'argumentaire renvoie sans ambiguïté aucune aux thèmes cent fois orchestrés par la propagande janséniste.