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Chanson sur le père Couvrigny

Or écoutez, petits et grands
Nobles, bourgeois et partisans,
Allemands, Polonais et Russes,
Et vous, habitants des deux Prusses,
Espagnols, Turcs, Persans, Chinois,
Soyez attentifs à ma voix1 .

C’est dans la ville d’Alençon,
Noble ville et de grand renom,
Qu’arrivée est piteuse affaire
A l’endroit d’un révérend père.
Chacun, jusqu’aux petits enfants,
La conte encore à tous venants.

Ce bon père-là confessait.
Très peu de pénitents avait,
Voire foison de pénitentes,
Jeunes, gentilles, bienfaisantes,
Qui lui contaient soir et matin
Leurs petits péchés féminins.

Cetui-ci fort s’ébanoyait
Aux confessions qu’il oyait
De toutes ces jeunes fillettes,
Qui lui parlaient rubans, cornettes,
Habits, modes, peine et souci
Et sans doute autre chose aussi.

Une entre autres fort lui plaisait,
De la voir point ne se lassait.
Pour cette frisque jouvencelle
Tant le papa brûlait de zèle
Que nuit et jour, s’il avait pu,
La confesser il eût voulu.

Aussi vraiment il y tâcha
Et son cœur point ne lui cacha.
Il vous faut, ma chère poulette,
Venir, dit-il, dans ma chambrette.
Là vous direz tout à loisir
Choses qui vous feront plaisir.

Toujours au confessionnal
On se fait entendre fort mal
Parmi toute cette cohue
Qui se mouche, crache, éternue.
A peine parfois entend-on
Moitié de la confession.

Quand c’est quelque bon vieux dragon
Ou du moins quelqu’homme ou garçon
Qui vont rarement à confesse,
Pour déblayer, ôter la presse,
Vite nous les expédions,
Puis de dix ans ne les voyons.

Mais une fille comme vous
Jeune, simple et d’un esprit doux,
Il faut bien autrement l’instruire.
On ne peut jamais tout lui dire.
Il reste toujours quelque si,
Qui mérite d’être éclairci.

Il faut donc du particulier
Pour ouvrir son cœur tout entier.
Partant, ma mignonne, ma mie,
Venez me voir, je vous en prie.
Là plus en dirons une fois
Qu’ici pendant cinq ou six mois.

Mon père, que dites-vous là ?
Que dirait maman de cela ?
Vraiment je serais bien grondée,
Comme un enfant je suis gardée.
Elle ne veut seulement pas
Que je la quitte d’un seul pas.

Vraiment, ma sœur, gardez-vous bien
Que votre mère en sache rien,
Non plus que monsieur votre père.
Ce n’est point ici leur affaire.
A jamais vous vous damnerez
Si les dents vous en desserrez.

La jeune fille après cela
Toute pensive s’en alla.
Sur son nez la coiffe baissée
Comme jadis une épousée
Qui quand minuit était venu
On menait chez son prétendu.

Irai-je donc ? N’irai-je pas ?…
Il faut aller… mais si j’y vas…
Ah ! que je suis embarrassée !
Aussi, quelle étrange pensée
De vouloir qu’on aille chez toi
Une fille… seule… eh ! pourquoi ?

Se confesse à lui qui voudra.
Plus jamais rien ne me feras.
Avant lui j’en avais un autre
Qui confessait comme un apôtre.
Je l’ai quitté pour celui-ci,
Mais il n’est pas mort, Dieu merci.

C’en est fait, j’y retournerai
Et celui-ci je quitterai,
Car mon esprit point ne digère
D’être enfermée avec un Père.
Parfois le Diable est bien subtil…
Car après tout, que me veut-il ?

Son frère la voyant un soir
Se lamenter et se douloir
Voulut en apprendre la cause.
C’est, mon frère, fort peu de chose.
Mais ce peu de chose pourtant
Vous fait soupirer bien souvent.

Dites-moi donc, ma chère sœur,
Ce que vous avez sur le cœur,
Ce n’est pas avec vous, mon frère,
Que je dois en faire un mystère.
Le Père Couvrigny prétend
Que j’aille en sa chambre et m’attend.

A présent qu’au fait vous voilà,
Que vous semble-t-il de cela ?
Croyez-vous que je doive faire
Ce que demande le bon Père ?
Pour moi franchement je n’ai point
L’esprit de décider ce point.

Il me semble avoir entendu
Que méchef était advenu
À maintes fille peu rusées
Par leurs confesseurs abusées
Qui se donnaient pour gens de bien
Comme paraît faire le mien.

Vous parlez très juste, ma sœur,
Mais pour prévenir ce malheur
Qui franchement serait extrême
Il faut jouer un stratagème.
Nous forcerons, sans rien risquer,
Le bon Père à se démasquer.

Nous nous ressemblons bien tous deux.
Même taille, mêmes cheveux,
Même teint et presque même âge
Donnez-moi donc votre équipage,
Coiffes, cornettes, cotillons,
En un mot, tous vos brimborions.

Aussitôt dit, aussitôt fait
Sa sœur elle-même lui met
Toute sa petite défroque,
Chignon frisé, manche à la coque.
Mon drôle, plus prompt que le vent,
Ne fait qu’un saut jusqu’au couvent.

Couvent de jésuites, s’entend,
L’hospice de notre galant.
D’abord dévote révérence,
Puis une autre, puis il s’avance,
Le Pater, les sens tout saisis
Dit : C’est ma chère Duplessis.

Car c’est ainsi que se nommait
La pénitente qu’il aimait,
Fille d’un tisserand habile,
Un des plus huppés de la ville,
Bon tisserand et bon chrétien,
En un mot, fort homme de bien.

Que je suis aise de vous voir.
Venez près de moi vous asseoir.
Ma fille, que vous voilà belle.
Oh, la dangereuse prunelle.
Bon Dieu, que cet œil est fripon.
Pourquoi ne suis-je pas garçon ?

Il croyait venir en ce lieu
Pour entendre parler de Dieu.
Voilà bien une autre aventure.
On parle de sa créature.
Je venais voir mon confesseur,
Et je trouve un doux cajoleur.

Quand on est faite comme vous,
Notre bon Dieu n’est point jaloux
Que l’on admire son ouvrage.
Ah, n’est-ce pas lui rendre hommage
Que d’adorer ce qu’il a fait,
Surtout quand il est si parfait ?

Je pense bien différemment
De vous, mon Père, assurément
Il a fait du ciel la lumière,
Du monde la machine entière.
Pourtant très criminel serait
Quiconque les adorerait.

Partant, ma petite, partant,
Allons ici tout bellement
Nous pourrions choquer la doctrine
Par où nous brillons à la Chine.
Ah ! c’est là qu’il faut aller voir
Les fruits de notre haut savoir.

Dans tout le pays indien
Vous ne sauriez croire combien
On nous révère, on nous estime.
Aussi notre grande maxime
A toujours été d’établir
Et de ne jamais abolir.

Avec art nous concilions
Chez eux les deux religions,
Savoir la leur avec la nôtre
Ce que le plus habile apôtre
Instruit même par Jésus-Christ
De faire n’eût jamais l’esprit.

La leur par droit d’ancienneté
A le pas et la primauté
Et la nôtre qui n’est pas fière
Comme de raison va derrière
Car avec nous on ne perd rien
Et chacun conserve le sien.

De respect humain c’est l’effort
D’unir et de mettre d’accord
Les incompatibles rivales.
Je le donne en cent aux cabales
Des janséniens qu’on vante tant
En dix siècles d’en faire autant.

On voit aux grands jours solennels
En même église deux autels
Entourés de jeunes bergères.
Sur l’un on offre nos mystères,
Sur l’autre, dressé vis-à-vis
On célèbre ceux du pays.

Ingénieuse dévotion
Si vous perdez l’attention
Vers l’un vous faites volte-face,
L’esprit vers l’autre se délasse
Et par là la dévotion
Se soutient sans destruction.

Ma fille, vous voyez donc bien
Qu’on n’en est pas moins bon chrétien
Pour excuser la créature
Quand elle est de votre figure,
Puisqu’on en adore là-bas
D’autres qui ne vous valent pas.

Mon père, est-ce un fait bien certain
Qu’on peut rendre un culte divin
A d’autres qu’au Dieu véritable ?
Certain, non, mais il est probable.
Or qui dit probabilité
Dit tout, puisqu'il dit vérité.

De tout ceci donc il s’ensuit
Qu’un bon confesseur, bien instruit
De votre doctrine éminente,
Peut adorer sa pénitente
En faire sa divinité
Et laisser là Dieu de côté.

Il peut ma petite, encore plus
Il peut… Quoi, j’éprouve un refus ?
Ah ! Que prétendez-vous, mon Père ?
Ne craignez-vous point la colère
Du bon Dieu que vous offensez ?
Fi donc, mon Père, finissez.

Je croyais qu’un religieux
Devait toujours baisser les yeux
Devant celle de notre sexe.
Mais j’ai l’âme toute perplexe
Je suis, mon Père, toute hors de moi
Voyant en vous ce que je vois.

Vous ne voyez, ma belle enfant,
En moi que le commun penchant.
Vraiment de chair et d’os nous sommes
Tout ainsi que les autres hommes.
En prenant cette robe, hélas !
Devenus rois ne sommes pas.

Le bon Dieu défend dans sa loi
Ce que vous demandez de moi.
Oui, mais, ma petite mignonne,
S’il le défend, il le pardonne.
Que serviraient les sacrements
Si nous étions tous innocents ?

Pour lui donner occasion
D’exercer l’inclination
Qu’il a de nos fautes remettre,
Il faut donc, ma fille, en commettre.
L’aimez-vous mieux, en bonne foi,
Avec un autre qu’avec moi ?

Tel passe-droit ne vous ferai.
Avec vous, Dieu j’offenserai
Lorsque j’y serai résolue.
Je suis déjà bien combattue
Mais accordez-moi tout au plus
Deux jours pour rêver là-dessus.

A ces mots, mon petit coquin
De son logis prend le chemin
A sa sœur conte l’aventure
Sans respect aucun, ni mesure
Et l’un et l’autre à belles dents
Vont le bon Père déchirant.

Le deuxième jour expiré,
Bien bichonné, frisé, poudré,
Du couvent la rue il enfourne,
Effrontément il y retourne.
Qui jamais eût cru tel marmot
Capable d’un si noir complot ?

Arrivé chez le révérend
Qui l’attendait tout bonnement
Mon rusé contrefait la fille,
Mais si drôlette et si gentille
Que par le subtil Belzébuth
Tour onc joué si bien ne fut.

Pour comble de loyauté
Il affecte un air de bonté
A l’endroit du révérend Père :
Plus de rigueur, plus de colère,
C’est un agneau, c’est un mouton
Qu’on dépouille de sa toison

Dispensez-moi, mon cher lecteur,
De vous rapporter la teneur
De cet endroit de l’aventure.
Glissons, passons à la clôture
Car il est de certains endroits
Qui ne brillent pas en françois.

De notre mieux disons pourtant
Que le benoît Père croyant
Au nid aller trouver la pie
Il lui prit comme une manie
Qui lui fit proférer des mots
Qui plus que le bras étaient gros.

Ce sont mots, dit-on, solennels
Qu’on trouve dans les rituels
De la prêtresse de Cythère,
Qu’on lit dans le dictionnaire
Faits à l’usage des chartriers,
Des dragons et des grenadiers.

Or, tandis qu’il les débitait,
Et l’oreille il en régalait
De sa soi-disant pénitente,
Quel spectre à ses yeux se présente
Il trouve (ô noire trahison)
Au lieu d’une fille un garçon.

Aussitôt le méchant s’enfuit
Et par la ville fait grand bruit.
Contre le bon Père il déclame
Il crie au vilain, à l’infâme,
Et les mères droit au couvent
Courent crucifige criant.

Tout le présidial s’émeut
Et lui faire son procès veut
Tant le cas lui paraît énorme.
Du roi le procureur informe.
Le prétendu coupable en peu
Condamné devait être au feu.

Le menu peuple en mouvement
Sans attendre le jugement
S’emporte et frémissant de rage
Contre notre saint personnage
Veut en pièces le déchirer
Et la province en délivrer.

Les Pères de ce même lieu
Viennent lui dire : Homme de Dieu,
Ah ! de cette horrible tempête
Sauvez nos murs et votre tête.
Fuyez ces citoyens ingrats
Qui de vous dignes ne sont pas.

Le même jour sur la minuit
Le prudent Père donc sans bruit
Sort par la porte de derrière,
Non sans secouer la poussière
De ses pieds et prompt comme un daim
Se sauve à Quimper-Corentin.

Adieu, dit-il, vilains ingrats,
Est-ce là le salaire, hélas !
Des facilités, des aisances,
Des douceurs et des complaisances
Que j’eus, si jamais on en eût,
Pour procurer votre salut.

Vous surtout, filles et garçons,
Direz-vous que j’eus les façons
D’un censeur rustique et sévère ?
N’étais-je pas plutôt un père
Qui n’a d’autre contentement
Que le plaisir de ses enfants ?

Lorsqu’au tribunal vous veniez,
Qu’à mes genoux vous me contiez
Toutes vos petites fredaines,
Toutes vos amoureuses peines,
Vous êtes-vous bien en allés
Que bien absous et consolés ?

Après tant de soins assidus
Pour des ingrats, des malotrus,
Je fuis une ville barbare
Qui dans ce moment me prépare,
Par la trahison d’un marmot,
La potence ou bien le fagot ;

Tels étaient les piteux accents
Que marmottait entre ses dents
Notre disgracié jésuite.
Arrivé dès qu’il fut au gîte
Il fit, dit-on, un grand hélas !
Et dit : Mon Dieu, que je suis las !

Tandis qu’il va se délasser,
Allons aussi nous reposer
Et finissons notre chronique.
Si quelque esprit mélancolique
En doute, le fait n’est pas vieux :
Qu’il s’en informe sur les lieux.

  • 1Chanson d’un inconnu ou de M. de Saint-Hyacinthe sur le père Couvrigny, jésuite de la ville d’Alençon. 63 couplets (M.)

Numéro
$1815


Année
1738

Auteur
Jouin Nicolas



Références

Arsenal 3116, f°215-221 - Mazarine Castries 3987, p.130-53 - Lyon BM, MS 1553, p.411-36 - Chanson d'un inconnu (imprimé)


Notes

Chanson d'un inconnu, nouvellement découverte et mise au jour avec des Remarques critiques, historiques, philosophiques, théologiques, instructives et amusantes, par M. le docteur Chrysostome Mathanasius, sur l'air des Pendus, ou Histoire véritable et remarquable arrivée à l'endroit d'un R. P. de la Compagnie de Jésus.  A Turin : chez Alithophile, rue où étaient ci-devant les Jésuites, à la Vérité, 1737

LC23-12 - LD39-292. Une réédition en 1827.

Parfois confondu avec le Chef-d'oeuvre d'un inconnu et donc attribué à Saint-Hyacinthe.