Un Apôtre de la petite Église
Un apôtre de la petite église1
Que dirons-nous de Montgeron
Et du beau produit de sa plume ?
Il a de plus d’une façon
Radoté dans un gros volume,
Marie Alacoque n’a pas
Donné plus de galimatias.
Cependant il disait au Roi :
Sire, parcourez mon ouvrage,
Vous y trouverez, sur ma foi,
De la vérité le langage,
Vérité qui jusques à vous
Ne peut arriver que par nous2
.
Quel est donc cet apôtre-là ?
Dit Sa Majesté bien surprise. —
On lui répondit à cela :
Il est de la petite église,
Et pour elle a donné son bien
Afin que Rome n’en eût rien. —
Eh bien, que l’on ait soin de lui.
Que dans la Bastille on l’emmène3
;
Qu’au matin, au soir, à midi,
De soupe il trouve jatte pleine,
Car c’est un régime excellent
Pour une cervelle à l’évent.
- 1Carré de Montgeron, conseiller au Parlement de Paris, en la deuxième chambre des enquêtes, et janséniste fervent, avait formé un gros recueil des principaux miracles attribués au bienheureux Pâris, avec les attestations des médecins, chirurgiens et autres notables personnes qui en avaient été témoins. Après l’avoir fait imprimer sous le titre de la Vérité des miracles du diacre Pâris, etc. démontrée contre M. l’Archevêqude Sens par Basile de Montgeron, il alla à Versailles le 29 juillet, assista tranquillement au dîner du Roi, et profita du moment où le prince sortait de table pour lui offrir un exemplaire de son livre en lui disant : « qu’il était un des plus respectables, zélés et fidèles de ses sujets, qu’il prenait la liberté de lui présenter un livre où la vérité était écrite, laquelle on lui cachait depuis longtemps ». (R)
- 2 En dépit des précautions prises par Carré de Montgeron pour remettre directement son livre au Roi, et du succès apparent de sa démarche, le prince n’eut pas même le loisir d’y jeter un coup d’œil. Le premier gentilhomme de la chambre le lui arracha des mains, dans la crainte qu’il ne fût empoisonné et le remit au cardinal Fleury, qui punit sans délai l’audacieux magistrat de sa témérité. (R)
- 3Séance tenante, une lettre de cachet fut expédiée de Versailles à M. Hérault pour mettre Montgeron à la Bastille. Le soir même, le commandant du guet, Duval, porteur de la lettre de cachet et accompagné d’un commissaire au Châtelet, alla arrêter Montgeron et le conduisit à la Bastille. Le 7 octobre de la même année, le malheureux conseiller fut transféré à l’abbaye Saint‑André d’Avignon, et puis au château de Valence, où il mourut fou. (R)
Raunié, VI,181-83 - Clairambault, F.Fr.12707, p.427 - Maurepas, F.Fr.12634, p.331-32 - F.Fr.13662, f°92v -F.Fr.15148, p.280-82 - F.Fr.15231, f°202r - BHVP, MS 549, f°16v-17r - BHVP, MS 659, p.55-56