

L’aventure de M. de Montempuis1
Question rare et nouvelle
Pour les savants de Paris ;
Dira-t-on mademoiselle,
Ou monsieur de Montempuis ?
Hé ! allons, ma tourlourirette,
Hé ! allons, ma tourlourirou.
Malgré la philosophie,
Il fut tenté l’autre jour
D’aller à la Comédie,
Entendre parler d’amour.2
Il succombe en janséniste
A cet attrait séduisant ;
Voulez-vous qu’il y résiste ?
Hélas ! il est appelant.
De peur, dit-il, de scandale,
Faisons tout à petit bruit.
Sévère est notre morale,
Mais plus le jour que la nuit.
Il faut que je me déguise
Pour n’être point reconnu ;
On peut tout faire à sa guise
Quand on peut n’être point vu.
De quelque jeune dévote
Empruntons le cotillon ;
Sous sa coiffe et sa capote
J’aurai l’air émerillon.
Une voisine gentille
Attife l’ample recteur3 :
J’ai, dit-il, ma chère fille,
Votre habit, et vous mon cœur.
Cette robe est plus légère
Que celle du rectorat.
Que ne puis-je me défaire
De même du diaconat ! —
Ne craignez point de paraître,
Lui dit-elle, sous cet habit ;
Qui pourrait y reconnaître
Un chanoine de Paris ?
En ceci, moi qui vous aime,
Je ne trouve point de mal,
Pour faire plus tôt carême
Avançons le carnaval. —
Il ne fut pas nécessaire
De le farder avec art,
Les gens de morale austère
Ne manquent jamais de fard.
Dès qu’on vit dans une loge
Cette nouvelle beauté,
Maints petits maîtres délogent
Et volent de son côté4.
Chacun jouait de la prunelle,
Tel faisait l’amant transi
Et disait : Pourquoi la belle
Vous emmitoufler ainsi ?
Venez-vous ici sous cape
Rire de tous vos amants ?
Vous allez à cette trappe
Prendre un tas de soupirants.
Mais la belle accoutumée
Aux arguments irlandais5,
Se trouva déconcertée
D’entendre parler français.
Peu faite aux tendres fleurettes
Parlant ab hoc et ab hac,
Elle fit dans ses cornettes
La scène de Pourceaugnac.
Plus elle fit de grimaces,
Et plus on voulut savoir ;
Voici, dit quelqu’un, des traces
De la barbe et du rasoir.
Lors la feinte demoiselle,
Prenant un ton de fausset,
Dit : L’insulte est trop cruelle,
Il faut lever le piquet.
Aussitôt la spectatrice
Attirant tous les regards,
Devient elle-même une actrice.
On criait de toutes parts.
Enfin sous l’habit de fille
Est reconnu Montempuis.
C’est en vain qu’un loup s’habille
De la peau d’une brebis.
De là, la troupe femelle
Tire ce fort argument :
Donc au plus juste et fidèle
La grâce manque souvent.
Le chanoine hermaphrodite
A la police est cité6,
Et les archers de sa suite
Criaient à la rareté.
Quelle étrange catastrophe !
Chez le fléau des filous7
On conduit le philosophe
Dans un carrosse bien doux.
Oh ! dit-il, les bons apôtres,
Qui prêchent un état parfait.
Quoi ! les uns après les autres
Je vous prends tous sur le fait.
En vain vous baissez la tête,
Mademoiselle de Montempuis ;
Au poil on connaît la bête,
J’ai fait mon cours au Plessis.
Sans doute ainsi tignonnée
Vous avez représenté
De nos rois la fille aînée,
Dame de l’université.
Oh ! que dira Louis-Antoine8
Quand il apprendra ce cas ?
C’est lui qui l’a fait chanoine :
Non, il ne le croira pas !
Que diront les molinistes
Et leurs commodes docteurs9 ?
Vous blâmez leurs casuistes,
Ils revivent dans vos mœurs.
Le goût des métamorphoses
Vous vient de vos devanciers.
Chez les nonnes les mieux closes,
Ils entraient en jardiniers10.
L’on a vu vos solitaires
Et de Paris et d’Orval11,
En habit de mousquetaires
Changer l’habit monacal.
Pour grossir la kyrielle
Des appelants de Paris,
On joindra mademoiselle
A monsieur de Montempuis.
Hé ! allons, ma tourlourirette,
Hé ! allons, ma tourlourirou.
Numéro $0628
Année 1726 (Castries)
Auteur Du Cerceau ?
Sur l'air de ... Hé ! allons, ma tourlourirette (Castries)
Description
31 x 4 + refrain
Notes
Il y a trois ou quatre ans que le Pont-Neuf retentissait de chansons sur la métamorphose de l’abbé de Montempuy, ce célèbre Docteur de Sorbonne, ce vénérable chanoine de la cathédrale, et pour tout dire, ce janséniste pommé qui avait voulu se déguiser en femme afin de pouvoir, sans scandale, assister à l’Opéra ; mais qui s’était ajusté d’une manière si grotesque et si bizarre, avec des fontanges à trois ou quatre étages qu’il fut aussitôt montré au doigt par tous les spectateurs et reconnu par quelques-uns ; et ensuite saisi pour être mené à la police. Cet abbé, après maintes mortifications essuyées, avait été relégué en province et privé du revenu de ses bénéfices ; mais on a enfin obtenu son pardon. Le chapitre de Notre-Dame l’a rétabli dans tous ses droits, à condition néanmoins qu’il n’assistera point aux processions, de peur sans doute qu’on ne le montre encore du doigt. Il perd 15 à 20 mille livres, depuis qu’l a été dépouillé du revenu de son canonicat, sans parler du reste. Le spectacle lui coûte cher à ce bon abbé. (Glaneur historique, 4 décembre 1732)
Exemple rare d'un texte satirique versifié venant du camp hostile aux jansénistes. Il a même eu les honneurs de l'impression.
Références
Raunié, V, 92-100 - Clairambault, F.Fr. 12699, p.359-65 et p.395-98 (imprimé) -Maurepas, F.Fr.12631, p.355-62 - Arsenal 2962, p.335-45 - Arsenal 2975, p.17-19 - Arsenal 3133, p.62-68 - BHVP, MS 659, p.96-100 - Mazarine Castries 3984, p.93-99 (dans le désordre, avec variantes) - Bouhier-Marais, II, 120-21
Mots Clefs Jansénisme, Montempuis,