Mandement de l’archevêque de Reims
Mandement de l'archevêque de Reims
Or, écoutez, peuple ignorant,
La lecture d'un mandement
Du grand Mailly1
, ce savant homme,
Qui fut placé, je ne sais comme,
Dans la chaire de saint Rémy,
Car il ne le méritait my.
Mandement
Je défends de lire un discours2
Qui dans mon diocèse a cours,
Composé par un personnage
Qu'on sait n'avoir point équipage,
Qui prend le titre de recteur,
Mais ça ne me fait pas grand'peur.
Souvent dans cette dignité
On met qui l'a moins mérité :
Au contraire la prélature,
N'est pas donnée à l'aventure ;
Au moins ainsi la chose était
Quand le confesseur présentait.
Ce chef de l'Université,
Par le parti si fort vanté,
Ose dire avec assurance
Que l'on ne reçoit point en France
La bulle du pape Clément.
C'est dire au grand Mailly qu'il ment.
Ledit recteur soutient encor
(Mais faut qu'il ait le diable au corps)
Qu'un primat de Gaule belgique,
Légat du siège apostolique,
De plus homme de qualité,
Devrait consulter son clergé.
Si cette maxime avait cours,
On me contredirait toujours.
Mon clergé n'est que trop discole,
Souvent il m'envoie à l'école,
Et, sans respecter ma grandeur ;
Il ose m'accuser d'erreur.
Les curés surtout sont mutins.
J'ai beau, pour punir ces lutins,
Excommunier, interdire,
Ils croient tous que c'est pour rire ;
Et pour les mettre à la raison
La Fare3
a besoin d'un bâton.
Item je proscris un décret,
Ouvrage par trop indiscret,
Où toute la gent pédantesque,
Voulant faire exploit gigantesque,
Me condamne à son tribunal,
Mais j'en appelle à Laurent Val4
.
Laurent Val, illustre écrivain,
Qu'on ne réclame point en vain,
Toi qui m'as donné la science
Et du Pridem l'intelligence
Sans ton secours j'étais tondu.
Le syndic5
m'aurait confondu.
Pour punir sa témérité,
Je veux que la postérité
Sache que Pridem je condamne
(Ce mot mal entendu nous damne),
Au sens du décret infernal
Adopté par le tribunal.
Mailly, tu seras cardinal,
Ainsi l'a prédit Laurent Val,
Au chapitre des Pridemistes,
Cousin germain des jansénistes.
Chapeau rouge, dit-il, aura
Qui mieux Pridem expliquera.
Vous voulez jouter avec moi
Et bientôt me ferez la loi.
Superficiel philosophe,
Vous êtes de trop mince étoffe,
On n'y gagnera jamais rien,
Car je suis bon grammairien.
Mais voyez qu'ils sont impudents,
Ils prétendent, malgré mes dents,
Que ce bel ecclésiastique,
Dans son discours académique,
De l'Espagne ne parle point6
.
Morbleu ! j'y mangerais mon poing.
Vous suivez un mauvais parti,
Syndic, vous en avez menti.
Le recteur a nommé l'Espagne ;
Prenez lunettes en Champagne,
Les bonnes sont de Saint-Thierry.
L'abbé du Vaux en est fourni.
Or sus, ce présent mandement
Sera lu sans retardement
Par les curés du diocèse,
Dont ils ne seront pas bien aises ;
Et, si quelqu'un monte au clocher,
Il faut l'en faire dénicher7
. »
Mais nous, prions le bon pasteur
Qu'il confonde tout imposteur,
Comme du Vaux, Morel, La Fare8
Et toute la race barbare
Qui sacrifie à Molina.
Entonnons Salve Regina.
- 1François de Mailly, archevêque de Reims, était au nombre des prélats acceptant la Constitution Unigenitus.
- 2A l’occasion d’un mandement de l’évêque de Toulon, Mgr de la Tour du Pin‑Montauban, qui attaquait les Facultés de théologie coupables d’opposition à la bulle, le recteur de l’Université de Paris, Petit de Montempuys, en présence de l’Université solennellement assemblée aux Mathurins, le 22 mars 1716, prit énergiquement la défense des Facultés dans un discours dont les députés de l’Université ordonnèrent l’impression, le 14 novembre suivant C’est contre ce discours que fut lancé le mandement de l’archevêque de Reims, dont la pièce ci‑dessus est une parodie. (R)
- 3L’abbé de La Fare, grand vicaire, abattit un curé qui lui résistait. (Clairambault)
- 4Laurent Valla, célèbre érudit italien du XVIe siècle. Le plus connu de ses ouvrages est son Traité de la donation de Constantin. (R)
- 5 Ce syndic, de la Sorbonne, qui avait réclamé une nouvelle impression du discours était Ravechet. (R)
- 6L’archevêque de Reims soutient que le recteur a parlé dans son discours de l’Espagne, quoiqu’il n’en ait pas dit un seul mot. (Clairambault)
- 7Les paroissiens sonnaient les cloches pendant que le curé lisait le mandement. (M.) (R)
- 8Duvaux et La Fare, grands vicaires, Morel secrétaire. (M.) (R)
Raunié, II,171-77 - Clairambault, F.Fr.12696, p. 213-17 - Maurepas, F.Fr.12629, p.21-25