Dialogue entre le roi Louis XIV et saint Pierre
Dialogue entre le roi Louis XIV et saint Pierre
Enfin le monarque des Gaules
Pour la première fois rend ses peuples contents :
Il est mort, accablé par ses crimes et ses ans,
Et pour faire oublier les plus horribles rôles
Qu’il joua pendant si longtemps.
De cinq ou six belles paroles
Il régala les assistants,
Puis, sans se corriger de son humeur hautaine,
De Paradis il prit droit le chemin,
Croyant en ce lieu-là comme en cour souveraine
Se montrer le fouet à la main.
Il est vrai que la Renommée
Avait porté là-haut tous ses faits éclatants ;
On y connaissait ses talents.
Mais trouvant la porte fermée,
Ouvrez donc, bonhomme, ouvrez ;
C’est le grand Dieudonné,
Cria-t-il de loin à saint Pierre.
Ce bienheureux portier paraissant étonné,
Dit : « La demande est un peu fière,
Puis, regardant par le sacré guichet :
Hé quoi ! c’est vous, grand personnage ?
Vous voilà pris au trébuchet.
Vous croyez sans doute, à votre âge,
Vous excuser d’un sort si commun aux mortels,
Ne pas faire comme les autres,
Et comme demi-Dieu mériter des autels ?
Vous voilà cependant des nôtres.
Des nôtres ? non, j’en suis fâché,
Car je serais bien empêché
De vous faire ouvrir cette porte ;
Des saints la célèbre cohorte
M’a commandé pour vous de tenir l’huis bien clos.
Ne pouviez-vous pas éviter leur colère ?
Vivre en roi très chrétien et du peuple le père ?
Comment, répond Louis, je suis mort en héros !
Mais vous vécûtes trop en homme.
Bon, bon, contes que tout cela :
Lisez les papiers que voilà
Dont aussi bien le poids m’assomme ;
Ils contiennent en abrégé
Les sublimes vertus qui composent ma vie
Dont chaque feuille est bien remplie,
Et le tout fort bien arrangé
Par Le Tellier de sa sainte industrie.
C’est un grand homme, celui-là.
Voici de plus, lettres de Loyola
Afin que sans nulle remise
Et sans examens superflus
Je jouisse bientôt des honneurs qui sont dus
A moi, fils aîné de l’Église.
Ma foi, dit le sacré portier,
Vous traitez trop mal votre mère
Pour que… quelle imposture ! Ah ! sur ce grand mystère
Écoutez parler Le Tellier.
C’est pour cette mère et sa gloire
Qu’on a vu combattre Louis ;
Il éternise sa mémoire
Par les faits les plus inouïs ;
Exils, trahisons, injustices,
Oppressions, fraudes, artifices,
Je n’ai rien épargné pour l’extirpation
Du malheureux parti contraire à son caprice,
Le tout pour la religion.
Même certains prélats que l’on croit saints en France,
Noailles, c’est tout dire, a senti les effets
De ma plus terrible vengeance.
Halte-là, dit saint Pierre, avec tant d’arrogance
Osez-vous raconter ces horribles forfaits ?
Quoi donc, ai-je mal fait ? dit Louis à l’Apôtre.
S’il est ainsi, de ce dangereux pas
A me tirer j’ai prévu mieux qu’un autre :
Car me voyant aux portes du trépas,
Je mandai Le Tellier, et dis à ce bon père :
Si j’ai fait quelques maux, c’est suivant vos conseils ;
J’en charge vous et vos pareils.
Tirez-vous-en, c’est votre affaire.
Que dites-vous du compliment ?
Il vous disculpe assurément,
Dit saint Pierre en fermant sa petite ouverture,
Mais restez là patiemment.
Encore un mot, je vous conjure ;
De Rome j’aurai des pardons ;
En ce lieu j’ai quelques patrons.
Souffrez donc que je les implore ;
Loyola… Osez-vous en parler encore ?
Oubliez, croyez-moi, et lui et ses enfants.
Jésus dans ses appartements
Ne voit point cette compagnie,
Heureux mortels, si comme de ces lieux
Elle était pour jamais de la terre bannie !
Ces dangereux serpents, ces monstres odieux,
Ces hardis suppôts de l’Envie
Faisaient auprès de vous tout le mal et nul bien ;
Leur père ne peut rien ici.
À d’autres… Saint Denis… Qui, cet homme sans tête
Pour conseil, affaire et conquête ?
De ses pareils vous voyez tous les jours.
La prophétie est toute prête
Comme là-bas ils vous nuiront toujours.
Geneviève par son secours
Me tirera du moins des éternelles flammes.
Pour votre honneur ne parlez point des femmes ;
Ce sont elles qui font ici votre procès.
À moi qui les aimai jusqu’au dernier excès ?
Dieu, quel retour ! en saint Mathieu j’espère.
Il fut patron des maltôtiers ;
J’ai eu pour ses pareils une amitié de père,
Peut-être en faveur du métier…
Vous pouvez sûrement l’ôter de votre liste ;
Ce Mathieu d’insigne voleur
Devenu grand évangéliste,
N’a pour vos favoris qu’une implacable horreur ;
Et les feux et les tourments… Ah ! quelle inadvertance,
Interrompit Louis d’un air fier et moqueur.
De tous ces petits saints méprisons l’assistance ;
Mon cousin, moon patron, et mon prédécesseur
Doit rassurer mon espérance.
Vous connaissez saint Louis ; dites-lui, je vous prie,
Qu’un certain roi de grand renom,
Un de ses patrons, un Bourbon,
De lui parler a grande envie.
Pour celui-là, dit le portier sacré,
En qualité de roi vous ne l’imitez guère ;
Mais vous serez bientôt entré
S’il se mêle de vos affaires ;
Il a du pouvoir en ces lieux ;
Dans peu de temps je vous l’envoie.
A ce discours le héros plein de joie
Crut bientôt être au rang des dieux,
Et tout d’un coup voyant paraître
Ce saint qui, selon lui, devait bien le connaître,
Cher cousin, lui dit-il, je vous demande un rang
Parmi les bienheureux et la troupe céleste ;
Accordez-le moi sans conteste.
Vous ne voudriez pas qu’un roi de votre sang…
De mon sang, interrompit le bienheureux monarque,
Je n’en vois en vous nulle marque.
Mais je peux me tromper ; dites-moi sans façon
Votre nom et votre aventure.
Seriez-vous celui et si bête et si bon,
Le valet de la prélature,
Le treizième de mon nom
Interrompt saint Louis, instruit de ces secrets,
Le bon roi, votre père ? Oh ! vous rêvez, bonhomme,
Si vous lui donnez là un nom qu’il n’eût jamais.
Il épousa Dame Anne et fut roi, je le sais ;
Pour votre père, non : je vous crois gentilhomme
Si tous mes mémoires sont vrais.
Mais du sang des Bourbons ? A d’autres !
Les peuples de ces lieux s’abusent-ils ainsi ?
Vous avez pu tromper les vôtres ;
Ils se doutaient de tout, on en est sûr ici.
Entre nous, donc, trève de cousinage.
Si vous aviez été plus sage,
J’étais votre patron, j’aurais pu vous servir.
Mais qu’avez-vous fait qu’asservir
Vos timides sujets sous la loi la plus dure ?
De leurs biens, de leur sang vous faire une pâture ?
Régner en tyran, non en roi,
Sans parole, sans bonne foi ?
Jusqu’au dernier moment soutenir l’imposture ?
Inspirer de l’horreur même pour votre nom ?
Commencer en David, finir en Salomon ?
Finissant cette apologie,
D’un air courroucé ce grand saint
Quitta son prétendu cousin
Sans attendre de répartie.
En vain ce roi d’un ton soumis
S’excusant sur son ignorance
De son grand patron saint Louis
Tâcha d’attirer la clémence :
Il ferma la porte aux verroux.
Lui dit pourtant d’un ton fort doux :
En tout vous avez cru Le Tellier, ce fin père,
Il inpirait le mal, vous suiviez ses conseils ;
Il se perd, vous et vos pareils ;
Tirez-vous-en, c’est votre affaire.
F.Fr.12500, p.1-5 - F.Fr.12796, f°7v-12r - F.Fr.15152, p.9-26 - Maurepas, F.Fr.12645, p.231-38 - NAF.9184, p.110-13 - Arsenal 3128, f°230v - BHVP, MS 670, f°4r-7v - Mazarine 2356, f°88r-89r - Lyon BM, MS1674, f°87r-91v
Ci-gît 1099 - Nombreuses variantes et deux vers à la fin : votre affaire / Que dites-vous du compliment / Vous l’avez fait là-bas, ici on vous le rend.