

Les maux de la fin du règne de Louis XIV1
Tristes et lugubres objets2,
J’ai vu la Bastille et Vincennes,
Le Châtelet, Bicêtre et mille prisons pleines
De braves citoyens, de fidèles sujets3.
J’ai vu la liberté ravie,
De la droite raison la règle peu suivie,
J’ai vu le peuple gémissant
Dans un rigoureux esclavage.
J’ai vu le soldat rugissant
Crever de faim, de soif, de dépit et de rage4.
J’ai vu les sages contredits,
Leurs remontrances inutiles.
J’ai vu des magistrats vexer toutes les villes
Par de criants impôts et d’injustes édits5.
J’ai vu sous l’habit d’une femme
Un démon nous faire la loi6 ;
Elle sacrifia son Dieu, sa foi, son âme
Pour séduire l’esprit d’un trop crédule roi.
J’ai vu cet homme épouvantable,
Ce barbare ennemi de tout le genre humain,
Exercer dans Paris, les armes à la main,
Une police abominable7.
J’ai vu les traitants impunis ;
J’ai vu des gens d’honneur persécutés, bannis ;
J’ai vu même l’erreur en tous lieux triomphante,
La vérité bannie et la foi chancelante.
J’ai vu Port‑Royal démoli.
J’ai vu l’action la plus noire
Qui puisse jamais arriver,
Toute l’eau de la mer ne pourrait la laver,
Et nos derniers neveux auront peine à le croire :
J’ai vu dans ce séjour par la grâce habité,
Des sacrilèges, des profanes,
Remuer, tourmenter les mânes
Des corps marqués du sceau de l’immortalité8.
Ce n’est pas tout encor : j’ai vu la prélature
Se vendre et devenir le prix de l’imposture ;
J’ai vu les dignités en proie aux ignorants ;
J’ai vu des gens de rien tenir les premiers rangs ;
J’ai vu de saints prélats devenir la victime
Du feu divin qui les anime.
temps ! ô mœurs ! j’ai vu dans ce siècle maudit
Ce cardinal, l’ornement de la France9,
Plus grand encor ; plus saint qu’on ne le dit
Ressentir les effets d’une horrible vengeance.
J’ai vu l’hypocrite honoré,
J’ai vu, c’est dire tout, le Jésuite adoré ;
J’ai vu ces maux sous le règne funeste
D’un prince que jadis la colère céleste
Accorda par vengeance à nos désirs ardents.
J’ai vu ces maux, et je n’ai pas vingt ans !
Numéro $0001
Année 1715
Auteur Lebrun (Antoine-Louis) / abbé Régnier
Description
51 vers
Notes
Poème de l'abbé Régnier (BHVP, MS 602) - Titre curieux de F.Fr.15019 : "La Visière d'Arouet"
Références
Raunié, I, 1-5 - Clairambault, F.Fr. 12695, p.675 - Maurepas, F.Fr.12628, p.101-02 - F.Fr.9351, f°216v-217v - F.Fr.12500, p.10-11 -F.Fr.15019, f°94-95 - F.Fr.15143, p.25-29 - F.Fr.15234, f°22v-23r - NAF.9184, p.336-38 - Arsenal 2961, p.282-84 - Arsenal 3130, p.159-161 - Arsenal 3132, p.202-04 - Arsenal 3128, f°107r-108r et 139r-140r et 276r-277r - BHVP, MS 555, f°138r-139r - BHVP, MS 602, f°7v-8v - BHVP, MS 639, p26-30 - BHVP, MS 653, p.334-36 - BHVP, MS 703, f°15v-16r et 289r-289v - Mazarine, MS 4035, Pièce 14 - Lyon BM, MS1674, f°83r-84r - Toulouse BM, MS 861, p.2-3 - Buvat, I, 99-100
Mots Clefs Jansénisme, Les maux de la fin du règne de Louis XIV, cardinal de Noailles