Les Dames harengères au Roi
Les dames harengères au Roi
Ce sont les dames harengères
Qui passent pour bonnes commères,
Qui supplient notre bon Roi
De vouloir conserver la loi
Dans le royaume de la France
Et de réprimer l’insolence
De certains cuistres et pédants
Qui composent des mandements1 .
Autrefois, à la Reine mère
Nous portâmes pareille affaire
Pour soutenir d’un très grand coeur
Notre illustre et zélé pasteur.
Martin, curé de Saint-Eustache2 ,
Qui portait si belle moustache,
Fut par nos soins et nos clameurs
Remis dans tous droits et honneurs.
Souvenez-vous, ô grand monarque,
Que lorsque Caron dans sa barque
Passa notre aimable Dauphin,
Nous ne goûtâmes point de vin
De plus d’un mois, tant la tristesse
Avait banni notre allégresse
De nos pauvres coeurs désolés
Qui ne sont pas trop consolés.
Nous vous supplions donc, grand Roi,
Laissez-nous lire l’Écriture,
Non pas toujours, mais d’aventure,
Car nous avons toutes appris
Qu'elle valait Jean de Paris
Même la belle Maguelonne.
Ce sont les docteurs de Sorbonne
Qui nous ont enseigné ce fait,
Gens que nous croyons très au fait.
Sire, vous avez la mine bonne,
Nous aimerons votre couronne,
En dépit du pape Clément
Nous vous garderons le serment.
Le Seigneur avec les apôtres
Nous ont appris les patenôtres,
Qu’il faut avec discrétion
Refuser l’absolution
À nos filles qui sont volages
Et qui ne pourraient être sages
Si les prêtres les absolvaient
Toutes les fois qu’elles voudraient.
Laissez-nous chanter à l’église.
Souvent dans notre robe grise
Nous chantons avec plus d’ardeur
Que certains abbés dans le choeur.
Sire, nos osons vous le dire,
Nous voudrions vous faire rire.
Nous préparons de beaux présents
Aux faiseurs de bons mandements,
Toutes nos huîtres à l’écaille
Seront désormais pour Noailles,
Et pour l’incomparable Hervaut3
Vive, saumon, sole et tourteau4 ;
Trente-six côtes de baleine
Au bon Verdun de Lorraine5 ,
Et les grenouilles des marais
Au cher frère de Demarets6
À Bayonne, près de Bisquais,
Pour lui donner cent-une raies
À Soanen, prélat de Senez,
Trois barils de thon marinés ;
Au brave prélat de Boulogne
Tous les poissons de la Dordogne ;
Et à l’aimable de Châlons
Il choisira dans nos poissons.
Si jamais celui d’Angoulème
Vient à Paris dans le Carême,
Il doit être bien assuré
Qu’à tous il sera préféré.
Mais si le maldodu d’Auxerre7 ,
Avec le gros vilain de Tonnerre8 ,
Et son digne cousin de Laon
Auquel donnions si bons Merlans
Passaient jamais dans notre rue
Avec les queues de nos morues
Lui donnerions mille soufflets,
Comme firent quelques valets
Du bon évêque de Bayonne
Qui sont dignes de la Sorbonne
Aux laquais du pauvre Quélus
Qui en est encore tout perclus.
Messieurs, souffrions-nous le traître,
Tel le valet, tel est le maître,
Tel le maître et tel le valet,
Voilà la cause du soufflet.
Sire le Roi, pour notregrâce,
Nous vous en conjurons en face,
Ne faites jamais aucun mal
À notre pauvre cardinal,
Notre cardinal de Noailles.
Nous lui donnerions nos entrailles,
Nous lui parlons sans compliment
À toute heure et à tout moment.
Il est doux, il est débonnaire,
Sire le Roi, laissez-le faire;
Laissez-le faire, grand Louis9 .
Nous irons tous en paradis.
Abandonnez la Révérence
A l'exécration de la France.
- 1Qui forment de sots mandements (Maurepas)
- 2Merlin (Maurepas)
- 3Archevêque de Tours.(Maurepas)
- 4Vives, soles, saumons, turbots (Maurepas)
- 5Hippolyte de Béthune, évêque de Verdun. (Maurepas)
- 6Évêque de Saint-Malo.(Maurepas)
- 7Caylus (Maurepas)
- 8Clermont (Maurepas).
- 9Il nous mettra en paradis / Et bannissez Sa Révérence [Le Tellier] / Avec sa détestable engeance / Il envie les gens de bien / Quoiqu'ils ne lui demandent rien. / Accordez-nous cette indulgence / Qui réjouira toute la France. / Et nous redoublerons nos voeux pour que vous soyez bien heureux. (Maurepas)
BHVP, MS 551, p.135-38 (variantes) - Lyon BM, MS 747, f°170-171