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Épître des pères capucins au R.P. Le Tellier

Épître des Pères Capucins au R.P. Le Tellier1
A Très haut et très fin jésuite,
Le révérend père Tellier,
Grand inquisiteur émérite
Et du feu roi pénitencier.
Ferme arcboutant du molinisme,
Jadis fléau du jansénisme,
Plus roi que le roi dans l’État,
Dans l’Église plus que prélat,
Plus pape que le pape même,
Sans mitre, crosse ou diadème.
Quel revers ! Tout votre pouvoir,
De Rome et des moines l’espoir ;
Du même coup que Louis tombe,
Expire et le suit sous la tombe.
Mais encor que le confesseur
S’éclipse avec le feu pécheur,
Que de votre gloire passée
Ne vous reste que la pensée ;
Pour si triste et douloureux cas,
Vos amis ne changeront pas.
Si pourrez, par notre tendresse
A partager votre détresse,
Démêler les amis loyaux
Que confondiez avec les faux.
Donc à votre Révérence
Jurent nouvelle obéissance
Les général, définiteurs
Et gardiens et prédicateurs,
Bref, la gent tout à vous soumise
Des révérends à barbe grise.
Or, comme trottons par les champs,
Plus qu’aucun des moines trottants,
Et que pour vous nous faisons ronde
Plus que tous les moines du monde ;
Si qu’il n’est carmes, n’augustins,
Ne cordeliers, ne célestins,
Qui sachent mieux suivre à la piste,
Et vous lever un janséniste ;
Aussi vous apprendrons-nous mieux
Par quels propos séditieux
Chacun aujourd’hui vous déchire
Et s’outrecuide de maudire
Par grande abomination
La sainte Constitution.
Puis quand vous aurez vu, saint père,
Combien peut leur chant vous déplaire ;
Si pourrez de votre cerveau
Tirer expédient nouveau
Qui change en longues doléances
Leurs légères réjouissances.
Sitôt que le bon pénitent
Approche de son noir moment,
Mouchard Barbusemet2 envoie,
Capuchons vont quêter leur proie,
Et partout font ouvrir le cœur
De ceux que resserrait la peur.
On vous dispense avec adresse
Force quêteurs de toute espèce :
Quêteurs de blés, quêteurs de bois,
Quêteurs d’huile, quêteurs de noix ;
L’un prêchant la vierge Marie,
L’autre un patron de confrérie,
Tous endoctrinés, cauteleux,
Et leurs tablettes avec eux ;
Dans le coche, dans la gargote,
Chez le curé, chez la dévote.
Mais las ! révérend père en Dieu,
Faut-il vous dire qu’il n’est lieu
Où l’on n’attaque à toute outrance
Votre défunte Révérence,
Et ne soyez raillé, joué,
Blasonné, berné, bafoué.
Le savant trouve que Tacite
A prophétisé qu’un jésuite
Ferait bien du mal aux Français,
Et qu’il vous a peint sous ces traits3 :
« Homme sans nom, vil, méprisable,
Mais hardi, ferme, infatigable,
Toujours prêt à changer autrui,
Il sait dissimuler pour lui.
Quoique haut et d’une humeur fière,
Flatteur, il sait ramper par terre ;
Sous une apparente pudeur
L’ambition ronge son cœur.
S’il est quelqu’un dont le mérite
Fait ombre aux projets qu’il médite,
Sur un mémoire présenté
Cet homme est bientôt écarté.
Un mortel seul, par ignorance,
L’honore de sa confiance ;
Content, il offre un front d’airain
A la haine du genre humain.
D’autres, d’une naissance obscure4
Comme lui corrigeant l’injure,
Foulaient aux pieds l’humble innocent,
Puis sont tombés en un instant ;
Vils délateurs, dont les services
Méritaient les derniers supplices ;
Un gai sûr et de grands honneurs
Sont les appas de leurs fureurs.
Effrayés du mal qui nous presse,
Nous demandons si la sagesse
Peut encore au monde avoir lieu,
Par un modeste et sûr milieu,
Entre la flatterie honteuse
Et la fermeté dangereuse. »
L’ignorant dit : Pour être roi
Ce père en sait-il mieux sa foi ?
Je doute fort de sa créance.
Ceux à qui l’on fait violence
Sont tous savants et gens de bien5  ;
Mais les autres… n’en disons rien.
Mon curé défend dans son prône
De dire du mal de personne. »
L’homme de cour, d’un ris malin,
Ainsi vous nasarde6 en chemin :
Ah ! la voilà, la chattemite,
Qui nous cache un fougueux jésuite ;
Le voilà ce beau révérend
Qui tous les jours, en se montrant,
Voyait tomber les Éminences,
S’anéantir les Excellences,
Se prosterner les grands prélats,
Ramper les graves magistrats.
Un regard était une grâce,
Pour l’avoir on briguait la place,
Il fallait prendre les devants,
Débusquer mille courtisans ;
Là, par force et par souplesse,
Se faire jour, fendre la presse,
Tant qu’enfin l’on se vit porté
Sous le regard tant souhaité.
Ouvrait-on ? L’on disait sans doute :
Il m’apercevra sur sa route ;
Mais le capricieux coup d’œil
Se refusait avec orgueil.
Plus loin l’altière Révérence
Allait répandre l’espérance
Au cœur du mortel bienheureux
Sur qui daignaient tomber ses yeux.
Donc, saisi d’une autre avenue,
L’on mendiait encor sa vue,
On s’allongeait, on se dressait ;
Tout à coup l’heure, qui sonnait,
Fermait la porte impitoyable.
On donnait le manège au diable,
Et l’audience et le portier,
Et surtout le pénitencier.
Or après fortune si belle
Que pour un mot lâché contre elle
Un honnête homme était perdu,
Qu’est le bon père devenu ?
Moine ? non pas moine ordinaire,
Disant patenôtre et bréviaire,
Chantant son ré, mi, fa, sol, la,
Puis gueusant ci, gaudissant là ;
Mais moine à jamais mémorable
Par sa politique exécrable ;
Moine turc, et non pas chrétien,
Moine, l’horreur des gens de bien.
Or oyez des prélats d’Église
La gent si souple et si soumise ;
Ils perdront bientôt le respect,
Et déjà disent en secret :
»Ce jésuite avait bien affaire
D’engager notre caractère
Dans cette Constitution,
Où n’avons onc rien vu de bon,
Fors tous les points qu’elle condamne7 .
Chacun de nous, ainsi qu’un âne,
Courbait stupidement le cou,
Et courait gaiement sous le joug.
Il nous menait à la baguette,
Le traître, et la marionnette
N’obéit pas mieux à la main
Que nous autres à son dessein,
Vils artisans de l’édifice
Qu’élève avec tant d’artifice,
Aux frais de notre autorité,
La très fine société8
Depuis soixante ans elle crie9
Qu’une épouvantable hérésie
S’exhale du fond des enfers,
Qui va noircir tout l’univers.
On s’émeut et, plein d’un saint zèle,
On cherche, on agit ; paraît-elle ?
L’avez-vous vue en Occident ?
Nous fuirons jusqu’en Orient.
Prélats, docteurs, toute l’Église,
S’éveillent, crainte de surprise.
Point d’hérésie, hors les erreurs
Des mous et bénins directeurs.
Les jésuites hurlent sans cesse
Qu’on s’aveugle, que le mal presse,
Que Pierre et Paul en sont tachés,
Tels et tels cantons entichés :
Et par adroites manigances
Les poussent auprès des puissances.
Morale aisée et doux docteurs
Eurent toujours la clef des cœurs.
On les y croit, on les écoute.
Trouvent-ils quelqu’un sur leur route
De taille à disputer contre eux ?
Ils le vont déclarer lépreux,
Mais lépreux dont l’air empoisonne
Et perd tout ce qui l’environne.
Il a beau dire : Je suis sain.
On vous le happe un beau matin
On vous le met à la Bastille,
On vous le purge, on vous l’étrille ;
Signez ceci, croyez cela,
Vous ne guérirez que par là.
Longtemps la manœuvre fut telle
Pour la déplorable séquelle :
Jésuites seuls donnaient la loi,
Fagotaient à leur gré la foi.
Plaignez-vous? Vous voilà coupable
A ce tribunal redoutable,
Dont ils sont les hauts justiciers,
Le pape et le roi les greffiers.
Or nous prélats, gens fort habiles
Et cervelles vraiment subtiles ;
Car il faut parler rondement,
Au moins quand nul ne nous entend ;
Si cardinalat, si pairie,
Gras évêchés, riche abbaye,
Si pensions, si cordons bleus
Ne nous avaient bouché les yeux,
Si nous avions dans la retraite
Plus aimé livre que toilette,
Bien loin d’en croire l’impudent
Qui mettait noir où tout est blanc,
Point n’eussions fait de foi nouvelle ;
Et le cri du peuple fidèle
Ne nous aurait point fait sentir
L’affront sanglant d’un démentir.
Troupe fourbe autant que crédule,
Nous n’aurions pas dit à la bulle :
(O l’admirable invention),
A Rome oui, en France non.
Si ne verrions notre confrère10 ,
Tiré du ténébreux mystère,
Plaindre à présent ses envieux
Et, vainqueur discret et pieux,
Surcharger notre ignominie
Par le poids de sa modestie. »
Ainsi s’expriment les prélats ;
La robe ne leur cède pas.
Les gens de robe, très saint-père,
Vous appellent net un faussaire
Qui trahissez d’un coup la foi,
Le pape, I’État et le roi :
La foi, couvrant d’affreux nuages
Des points clairs et de saints usages ;
Le pape, ayant agioté
La pauvre infaillibilité ;
L’État, sacrifiant à Rome
La liberté et le royaume ;
Le roi, qui sans sujets sera
Sitôt que Rome tonnera.
Puis fort au long, révérend père,
Nos gens détaillent la matière ;
Mais laissez ces becs affilés
Battre l’air et vous consolez ;
Car en voici dont le langage
Tourne plus à votre avantage.
Ce sont, messieurs les libertins,
Gens à bombances et festins,
Gros garçons à vastes bedaines
Aimant bien gentilles fredaines,
Traits malins et joyeux propos ;
Bref, gens tous ronds et point cagots.
Ma foi, ce jésuite est bon diable,
Disent-ils, et fort charitable.
Nous n’ouvrions les livres saints ;
Il nous les retire des mains.
Ce qu’on faisait par négligence,
Faisons-le par obéissance :
La bulle est sûre caution
Pour avoir l’absolution.
J’avions cru par faiblesse extrême
Qu’on déplaît à Dieu, si l’on aime
Un Peccavi nous sauve tous :
Rions, chantons, enivrons-nous
Est-on si chien que de la crainte
On n’ait à la mort quelque atteinte ?
C’est assez ; et puis n’a-t-on point
En tout temps la grâce à son point ?
Le ciel s’obtient sans tant d’avance ;
Parbleu, ménageons la décence.
Sur ces affreuses vérités,
Qui tant nous ont épouvantés,
Aujourd’hui le commode père
Répand un doute salutaire.
Le pape en revient avec lui,
Maints prélats lui donnent appui.
On en croyait trop, on varie
Tant qu’enfin aujourd’hui l’on nie
Ce qu’hier l’on croyait certain.
Remettons à croire à demain. »
De ceci ne faites que rire ;
Puisque le libertin tire
Trop lubrique conclusion
De votre Constitution,
C’est moins par maligne critique
Que par pur défaut de logique.
Mais voici les esprits bourrus
Des loups-garous, des malotrus,
J’entends les vieux apostoliques,
Ces graves ecclésiastiques
A soulier large, ample manteau,
Manchette étroite, grand chapeau;
Or ces jeûneurs à face blême
Disent à la bulle anathème
Et tout net. Ne leur citez pas
Le pape et les doctes prélats ;
Ils vous disent : « La bulle est claire.
Ce qui condamne le saint-père
Ce sont les articles qu’il dit
Offrir l’erreur dès qu’on les lit.
Mais par un détour ridicule
On s’aperçoit que dans la bulle
On ne peut trouver la clarté
Qui marque l’héréticité.
Si ce qu’on lit est ce qu’on frappe,
Il faut avouer que le pape
Avec Augustin a proscrit
Saint Paul, I’Église, son esprit,
Ses prières et sa pratique11 .
Mais qu’un pape soit hérétique !
C’en est trop, ont dit les prélats.
Hé bien, nous ne le dirons pas.
Disons que la bulle est obscure
En portant les foudres lancés
Sur des faux sens, quoique forcés ;
Mais n’attaquer que des chimères
Quand Rome en veut aux choses claires ;
C’est dire au pape sans façon :
Vous mentez, Quesnel a raison ;
C’est traiter de façon brutale
L’infaillibilité papale.
Bien l’ont senti nos grands prélats,
Gens polis, fins et délicats
Et d’ingénieuse manière ;
Ils ont fait valoir au saint-père
Leur très humble acceptation ;
Mais chut sur l’explication.
Or par quelle étrange alliance
Verrait-on dans cette occurrence
L’aimable et simple vérité
S’unir à la duplicité ?
On cherche à satisfaire ensemble
Ses intérêts et Dieu ; l’on tremble
De se brouiller avec son roi,
Et l’on se brouille avec la foi.
On unit des sens hérétiques
Aux termes plus catholiques.
On s’alarme au style usité
De la plus pure piété.
La vérité toujours craintive
Devient languissante et captive
Sous les fausses précautions
De cent vaines restrictions.
L’exil fait déserter la chaire,
Elle est en proie au mercenaire
Qui parle dans ses entretiens
Aux espions plus qu’aux chrétiens.
Loin cette infâme politique
Qu’enfanta l’orgueil jésuitique,
Et dans notre simplicité
Mourons tous pour la vérité,
Dût la gent en ruse féconde
Étonnant de nouveau le monde,
Par quelque ressort infernal
Renverser notre cardinal.
A l’erreur n’ouvrons point l’entrée
Par une paix fausse et plâtrée12 ,
Et pour Dieu ! n’expliquons jamais
Des points si clairs, des points si vrais.
Sans doute par tant de batailles
Le ferme et le pieux Noailles
N’a pas voulu s’approprier
L’honneur de mollir le dernier ;
Et d’un livre qu’il a fait faire13
On ne lui verra pas extraire
Des sens qu’il sait bien dans son cœur
Que n’ont ni les mots ni l’auteur.
Tout est perdu s’il capitule.
L’erreur est l’âme de la bulle,
La calomnie en est la fin.
Tout accommodement est vain.
S’il la reçoit, il justifie
Et l’erreur et la calomnie ;
Mais il n’a sans doute accepté
Qu’en faveur de la vérité
Le nouveau rang que sa droiture,
Malgré ses rivaux, lui procure14 .
Donc sous ce sage conducteur,
Sion reprendra sa splendeur ;
Ses enfants sans crainte et sans guerre
Relèveront son sanctuaire,
Et contre eux le Samaritain
N’aigrira plus le souverain.
Ainsi le dévot vous dénote ;
Voyons maintenant la dévote,
La sucrée avec son œil doux :
Mon Dieu, dit-elle, où sommes-nous ?
On n’entend plus ce qu’on veut dire,
On ne sait plus ce qu’il faut lire ;
Ce qu’on avait toujours cru blanc,
On le dit tout noir à présent.
Ce que des saints prélats commandent
Les jésuites nous le défendent,
Quoiqu’ils rendent de l’Évangile
La méditation facile,
Quoiqu’ils versent avec douceur
L’onction jusqu’au fond du cœur,
Qu’ils ne prêchent que le silence,
Le travail et l’obéissance,
Qu’ils répandent de saints dégoûts
Sur ce que le monde a de doux.
Des prélats disent d’un auteur
Que l’Esprit-Saint remplit son cœur ;
Et les jésuites, que le diable
Y verse un venin détestable.
Du Guet, Nicole et le Tourneux15
Comme Quesnel sont dangereux,
Quoiqu’on puise dans leur lecture
Une lumière et vive et pure,
Dès qu’un livre vous édifie,
Le diable y souffle l’hérésie,
Et nous mène aux derniers malheurs
Par la pénitence et les pleurs.
Ils veulent nous en donner d’autres,
Substituer les leurs aux nôtres ;
Mais ceux dont ils nous font présent ;
On meurt de froid en les lisant.
Si ces pères voulaient bien faire,
Ils devraient pour se satisfaire
Les arracher ces livres saints
De nos cœurs comme de nos mains.
Ainsi le clergé, la noblesse,
Et le bourgeois, et la duchesse,
Et le savant, et l’ignorant
Et le petit comme le grand
Par mille discours téméraires
Vous maudissent vous et vos pères
L’un dit ceci, l’autre cela ;
Nasarde ici, braillard par là ;
Si que c’est pitié de voir comme
Depuis Paris jusques à Rome,
Chacun vous siffle, et, qui pis est,
Vous siffle, sans être suspect.
De ce coup, fortune perverse,
Combien de gens ta main renverse ;
Voilà, voilà tes cruels tours !
Comptez-vous jouer tous les jours,
Aveugle et bizarre déesse,
De perdre ainsi ceux qui sans cesse
Allaient, humbles adorateurs,
A Saint-Louis offrir leurs cœurs.
Pour les gens de la confrérie
Plus de grâces, plus d’abbayes,
Plus de mitre, plus de chapeau,
Bref, ni petit ni gros morceau
Mais bien force turlupinades,
Quolibets et sornettes fades
Surtout pauvres valets de pied
Sont en grand deuil et detourbié ;
Sans respect pour la barbe antique,
Ni pour le haillon séraphique,
Ni pour les sacrés escarpins,
On fait la guerre aux capucins.
Jadis, comme aides molinistes,
Nous parlions haut aux jansénistes ;
Pour n’être en la secrète mis,
Ils nous régalaient comme amis,
Et prouvaient leur saine doctrine
En suant pour nous en cuisine.
Nous allions prôner les progrès
Que la bulle n’avait pas faits.
On l’avait reçue en Espagne,
En Portugal, en Allemagne.
On avait coffré tel docteur ;
Bastillé tel prédicateur.
On allait voir certain mystère,
Dont il fallait encor nous taire.
Le cardinal faisait sa paix,
Nous connaissions tous les secrets,
La fin, les moyens, les obstacles ;
On nous écoutait comme oracles.
Bref, capucins allaient, venaient,
Décidaient, riaient, fricassaient ;
Si que dans toute la campagne
Ils trouvaient pays de cocagne.
Mais las ! toute notre splendeur
Tombe avec que le confesseur.
Donc s’en vont projets, espérances,
Courses, stations et bombances,
Et sont reçus les capucins
Par charité, comme gredins.
Bien comptions, très revérend père,
De vous instruire en cette affaire
Des personnes et des cantons
Comme par ci-devant faisions.
Mais par trop le monde en fourmille,
Et les portes de la Bastille,
Qui battaient jadis sous vos lois,
Ne connaissent plus votre voix.
Ains ceux que par fines pratiques
Aviez enclos comme hérétiques,
Ils en sortent tous triomphants.
Ce beau Philippe d’Orléans,
Le plus déclaré quesneliste
Que deviez mettre en votre liste
Las ! par ses horribles méfaits
A dérangé tous vos projets
Il vous a supplanté, le traître ;
Vous n’êtes rien, il est le maître.
Quoiqu’eussiez d’adroite façon
Réglé son pouvoir et son nom16 ,
On parle, on écrit, on raisonne,
Mais il n’inquiète personne ;
Les jansénistes en sont fous :
Il est plein d’esprit, il est doux,
Laborieux, ferme, économe ;
Ils le donnent pour si prud’homme
Que si l’on les croit aujourd’hui
La France périrait sans lui.
Mais observons en patience
Comme ira sa belle régence.
On verra qui sait mieux régner
Ou d’Orléans ou de Tellier.
Qu’il prenne garde à sa personne,
Jésuites la lui gardent bonne.
Le pauvre sire, je le plains,
S’il tombe jamais dans leurs mains.
Or, pour charmer notre grevance
Nous pouvons trouver allégeance,
Vérité, pain, vie, onction,
Dans votre Constitution,
Constitution consolante,
Théologique et très savante,
A laquelle finalement
Ne manque qu’un point seulement,
Tant belle elle est et bien conçue :
Ce point-là c’est d’être reçue ;
Et partant vous baisent les mains
Les très indignes capucins17 .

  • 1Lettre des Révérends Pères Capucins au Révérend Père Le Tellier, revue, corrigée et augmentée. A Monomotapa, chez la veuve Unigenitus, rue de la Constitution, à la Bulle. 1715 (BHVP, MS 602)
  • 2Ce sobriquet représente ici le général des PP. capucins. (R)
  • 3Ces vers sont une imitation du portrait que Tacite nous a laissé de Séjan : Corpus illi laborum tolerans, animus audax : sui obtegens, in alios criminalis, juxta adulatio et superbia : palam compositus pudor, intus suma apiscendi libido. (Annales, I, 3) (R)
  • 4« Le roi demanda à son confesseur s’il était parent de MM. Le Tellier : « Moi, Sire, répondit‑il parent de MM Le Tellier? je suis bien loin de cela ; je suis un pauvre paysan de basse-Normandie, où mon père était un fermier. » (Saint-Simon.) (R)
  • 5Les jansénistes se faisaient remarquer par leur vie exemplaire et leur grande science ; Port‑Royal en est la meilleure preuve. (R)
  • 6Le mot nasarde dans son acception primitive signifiait chiquenaude sur le nez, puis il devint synonyme de raillerie, d’où le verbe nasarder, c’est‑à‑dire se moquer de quelqu’un. (R)
  • 7Tel était d’ailleurs, dans le principe, l’avis du juge qui avait condamné le livre du P. Quesnel. « L’abbé Renaudot, dit Voltaire, l’un des plus savants hommes de France, étant à Rome la première année du pontificat de Clément XI, allant un jour chez ce pape, qui aimait les savants et qui l’était lui‑même, le trouva lisant le livre du P. Quesnel. Voilà, lui dit le pape, un livre excellent. Nous n’avons personne à Rome qui soit capable d’écrire ainsi. Je voudrais attirer l’auteur auprès de moi. » (R
  • 8« Les jésuites avaient été les principaux ou plutôt les uniques solliciteurs de la bulle Unigenitus ; aussi étaient-ils les seuls à qui la bulle pût être utile, en ce qu’elle semblait les relever de différentes condamnations qu’ils avaient essuyées depuis quatre‑vingt ans sur la morale et sur la discipline. » (L’abbé Legendre, Mémoires.) (R)
  • 9L’Augustinus de l’évêque d’Ypres, Jansénius, avait été condamné par le pape Innocent X, en 1653. (R)
  • 10Le cardinal de Noailles, auquel la mort de Louis XIV rendait toute son influence. (R)
  • 11Le docteur Arnauld soutenait que les propositions de Jansénius, condamnées par le pape, n’étaient point dans le livre de Jansénius, mais qu’elles se trouvaient dans saint Augustin et dans plusieurs Pères de l’Église. (R)
  • 12Clément IX apaisa une première fois les discussions soulevées par l’Augustinus, et l’on appela cette pacification la paix de Clément IX. Mais le pape avait compté sans le P. Le Tellier. (R
  • 13Une édition des Réflexions morales faite en 1699, avait été dédiée au cardinal de Noailles et agréée par lui. (R)
  • 14Le Régent l’avait nommé chef du Conseil des affaires ecclésiastiques. (R)
  • 15Du Guet était un oratorien, Nicole et Le Tourneux des solitaires de Port‑Royal. Tous trois jouèrent un rôle important dans les controverses religieuses.
  • 16Le testament de Louis XIV, qui favorisait les bâtards légitimés aux dépens du duc d’Orléans, était dû aux conseils de Mme de Maintenon et du P. Le Tellier. (R)
  • 17Du 22 septembre 1715, du grand couvent (BHVP, MS 602)

Numéro
$0065


Année
1715




Références

Raunié, I, 78-98 - Clairambault, F.Fr. 12695, p. 672 A-672J - Clairambault, F.Fr. 12696, p. 26 a - Maurepas, F.Fr.12628, p.221-42 -  F.Fr.10475, f°149-153 - F.Fr.13655, p.147-56 avec de nombreuses variantes - Arsenal 8°T4952 (imprimé) - BHVP, MS 551, p.287-306 (variantes) - BHVP, MS 602, f°109r-119r