Le Janséniste et le moliniste. Conte
Le janséniste et le moliniste. Conte1
Père Simon, doucereux moliniste,
Frère Augustin, sauvage janséniste,
Tous deux supports de la religion,
Allaient à Rome, au père des fidèles,
Solliciter quelque décision
Sur les cinq points de doctrine perverse.
Jeune tendron leur tombe sous la main.
Dans le moment changent la controverse.
Le rigoriste exploita son devant,
L’Ignacien ayant fait sa prière
Dévotement prit la route contraire.
Chacun le fit pour l’honneur du couvent.
Ayant tous deux parfait leur entreprise,
Un remords vint ; non pas aux gens d’Église.
Ils en ont peu, comme pouvez penser,
Car sont commis de Dieu pour les chasser.
Mais à la belle, encore dans l’innocence,
Simple, timide et qui n’avait alors
Seize ans entiers : c’est l’âge des remords
Si ce n’est pas celui de l’innocence.
Donc à genoux, avec contrition,
Elle leur dit : Du ciel vous êtes maîtres.
D’une pauvrette ayez compassion,
A mon péché faites rémission,
Vous pouvez tout, vous êtes tous deux prêtres.
Alors lui donnant sa bénédiction,
Le Loyoliste, enflammé, plein de zèle,
Lui promit place en la sainte Sion.
L’autre, au rebours, chapitrant la donzelle,
Lui refusa son absolution.
- 1Autre titre : Le Voyage à Rome (Arsenal 3133) - Il s'est trouvé dans le portefeuille de ce célèbre écrivain un grand nombre de pièces dont on n'osera pas faire usage. Tout ce qui est sorti de cette plume est intéressant, ainsi je retirerai les deux pièces suivantes de l'oubli auquel la prudence des éditeurs en a condamné beaucoup de cette espèce. Voltaire composa celle-ci en 1723.
Clairambault, F.Fr.12695, p.419-20 - Maurepas, F.Fr.12627, p.289 - F.Fr.9351, f°234 - Arsenal 3131, p.261-62 - Arsenal 3133, p.156-57 - Avignon BM, MS 1223, p.313-14 - Kageneck, p.263 - CSPL, t.XI, p.115
Voir l'édition de Catriona Seth dans le cadre des oeuvres complètes de Voltaire (OC, t.IB, p.171-178). Le manuscrit présente quelques variantes non relevées dans l'édition.