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L'Évêque de Soissons et Marie Alacoque

L’évêque de Soissons et Marie Alacoque
Quelle bile noire et subite1 ,
Ami, dans ce moment t'agite ?
Que veut dire cet air rêveur ?
D'où te vient cet air de tristesse ?
Aurais-tu perdu par malheur
Ton procès ou bien ta maîtresse ?

Ah ! le désespoir me surmonte.
Console-moi, mon cher Oronte2 .
Je viens de perdre mon procès,
Cette injustice me suffoque ;
L'on me condamne par arrêt
A lire Marie Alacoque3 .

Jadis, un fou tout à son aise
Brûla le temple d'Éphèse
Afin qu'on se souvînt de lui.
Languet aspire à même gloire :
Son livre lui donne aujourd'hui
Pareille place dans l'histoire.

Sans cette fable incomparable
Qu'aurait ce prélat de passable ?
En lui tout est digne d'oubli.
De ses vertus voici la liste :
Il sut copier Tournely4
Et tourmenter le janséniste.

Mais, par sa Marie Alacoque,
Qu'il nous peint en fille équivoque,
Ce prélat brille assurément :
Le songe-creux de sa marotte
Doit le rendre infailliblement
Digne aumônier de la Calotte5 .

  • 1Quelle mélancolie subite (Arsenal 2931)
  • 2Console-moi, mon cher Comte (Arsenal 2931)
  • 3Le Journal de Barbier, fidèle écho de l'opinion publique, résume ainsi l'impression génerale : « M. Languet, évêque de Soissons, a fait la plus grande sottise au commencement de cette année qu’il pouvait faire. Il a fait un livre qui est la relation de la vie d'une religieuse dans le couvent de Paray‑le‑Monial, morte en 1690, et il a dédié ce livre à la Reine. Cette religieuse avait une singulière dévotion au coeur de Jésus‑Christ. On décrit dans ce livre toutes ses austérités, ses méditations dans lesquelles elle avait une conversation réglée avec Jésus‑Christ. Cette fille s'appelait Marguerite‑Marie Alacoque. Dans les enthousiasmes de cette conversation toute spirituelle, notre évêque fait tenir des discours très tendres à la religieuse et à Jésus‑Christ, avec des expressions trop vives que les lecteurs ont tournées à mal. Cela a suffi pour que toute la cour et la ville aient voulu avoir ce livre. Il n'était plus question que de Marie Alacoque, dont le nom s'est trouvé plaisant par hasard, et cela a occasionné cent contes plus ridicules les uns que les autres sur M. l'évêque de Soissons, tant en prose qu'en vers. »
  • 4Le P. Tournely passait pour avoir été le teinturier des écrits relatifs à la bulle Unigenitus que Languet avait publiés. Comme il était mort lorsque l'évêque de Soissons fit imprimer la Vie de Marie Alacoque, les mauvais plaisants dirent qu'il avait emporté l'esprit de Languet et ne lui avait laissé que la coque. (R)
  • 5Il eut, en effet, un brevet satirique non d’aumônier mais d’historiographe du régiment de la Calotte. (R)

Numéro
$0686


Année
1730




Références

Raunié, V,206-09 - F.Fr.9352, f°275r - Arsenal 2391, f°165 et 173 (textes disjoints) - BHVP, MS 658, p.185-86 - Mazarine MS 2166, p.241-43 - BHVP, MS 542, f°80-81