La culotte de M. Hérault, histoire nouvelle
La culotte de Monsieur Hérault
Histoire nouvelle
Je perdrais plutôt mon bonnet,
Dit-on parfois, mais sans effet,
Pour exprimer certaine affaire
Qui tient à cœur et qu’on veut faire.
Admirez donc la noble ardeur
De notre grand Inquisiteur,
Lequel perdit son haut de chausse.
Voici comment advint la chose.
Au successeur de Dombreval1
On donne avis qu’en sa valise,
Pendant la nuit, à telle église,
Tel homme montant à cheval,
Doit emporter certains écrits
Que l’on sait bien être proscrits.
Bon ! ce sont enfin nos Nouvelles2
Dit aussitôt le magistrat.
Qu’on saisisse le scélérat
Et qu’on me l’amène avec elles.
Depuis trois ans que dans Paris
Je prends des rats pour des souris,
On glose, on me pique, on me raille,
Il n’est pas jusqu’à la canaille
Qui s’en mêle et qui s’applaudit
De voir balancer mon crédit.
Voici le moment favorable
Qui va me rendre respectable.
À la cour on m’applaudira,
Le clergé me satisfera,
Je serai craint des Jansénistes,
Aimé, chéri des Molinistes ;
Rome me canonisera,
Le jésuite m’adorera.
L’heureuse nuit qu’on m’annonce !
Nuit préférable au plus beau jour,
Nuit pour laquelle je renonce
À tous plaisirs, même à l’amour !
Enivré de cette merveille
Et content de son heureux sort,
Le magistrat se couche et dort
En attendant qu’on le réveille.
Morphée, de ses attentions
Le connaissant digne et capable,
Le berce de songes aimables
Et de douces illusions.
Assis dessus son tribunal,
Il juge, condamne, bannit,
Il exécute, il s’applaudit
De ce qu’il a fait, bien ou mal.
Mais l’exempt qui tient sa capture,
Tirant rideaux et couverture,
Annonce le joyeux moment
Qui sert d’objet au compliment.
Disparaissez, vaines images,
Vous n’êtes qu’inutilité,
Voici de la réalité.
Allons, Morphée, plions bagage.
L’Inquisiteur, bien satisfait,
Et croyant son bonheur parfait,
Lève négligemment la tête
Et pour se faire entière fête,
Pendant qu’il se frotte les yeux,
Avant d’en venir au sérieux,
Il glose, il ricane, il badine ;
Il voit son homme, il l’examine,
Comme un matou, petit ou gros,
Souvent pour exprimer sa joie
Se divertit avec sa proie
Avant de lui croquer les os.
Enfin, cédant à la confiance
Qu’il a de voir incessamment
Le fruit de son empressement
Et le prix de sa vigilance,
Qui êtes-vous ? où allez-vous ?
Que portez-vous en cette malle ?
Dit-il à ce visage pâle,
De par le Roi, dites-le nous.
De Monsieur le marquis, mon maître,
Monseigneur, je suis le valet.
Je lui porte un habit complet
À la cour… Ah ! vous mentez, traître,
Répond le rusé magistrat,
Comme vous, je sais plus d’un rôle,
Et vous avez, monsieur le drôle,
Bien d’autre viande pour mon chat.
Qu’on visite cette valise
Tout à l’heure, et près de mon lit
Nous verrons bientôt grise mine.
Aussitôt fait qu’on l’avait dit,
On étale pièce par pièce
Auprès du lit, sur un fauteuil,
L’habit complet, l’habit de deuil ;
Mais de plus rien d’une autre espèce.
On retourne (que peut-on plus
Pour rendre la chose plus sûre ?)
Et la valise et sa doublure ;
Mais tous ces soins sont superflus.
Après la malle, on fouille l’homme,
Mais c’est toujours tout ainsi comme.
Rien ne se trouve, et le cheval
Qu’il monte est fouillé, l’animal !
Après cette exacte recherche
Rien ne paraît de ce qu’on cherche,
Et du magistrat étonné
On voit d’un pied croître le nez.
Cet homme est pourtant bien le nôtre…
Poil noir… Non, ce n’est point un autre…
Pâle… Voici sa mine blême…
De petits yeux… Certes, c’est lui…
Nez aquilin… C’est bien lui-même…
Un cheval tirant sur le roux…
Il devait partir aujourd’hui…
Assurément, Monsieur, c’est vous.
Vous avez pièces d’écritures
Qui ont mérité les censures,
Au moins devez-vous les avoir,
Et certes je veux les ravoir.
Je ne sais ce qu’on me propose,
Monseigneur, répond le captif,
Et vous me feriez brûler vif
Que vous n’auriez rien autre chose.
Le juge alors tout interdit
Se tait, rêve, rougit, pâlit.
Et puis enfin pour tout conclure,
Allez, vous et votre monture,
En paix, dit-il, on s’est mépris.
Je suis fâché qu’on vous ait pris.
Puis, sous son rideau qu’il retire,
Il cache sa honte, il soupire.
Aussitôt le coupable absous,
Remplit sa malle jusqu’au bout,
Et loin d’oublier sa culotte,
Je ne sais par quelle marotte
Il prit celle du magistrat
Pour la neuve qui lui resta.
Beaucoup plus tôt que de coutume,
Ne pouvant du tout sommeiller,
Notre robin quitte sa plume
Et fait frime de s’habiller :
Mais bientôt la culotte noire
Qui fait le beau de notre histoire,
Trop petite pour son gros cul,
Le fait crier : je suis perdu.
Ciel ! que la nature et la peine
Affligent la nature humaine !
Hier au soir je n’avais rien,
Ah ! je meurs, je le sens bien.
Disant ces mots il se recouche
À demi-mort, comme une souche.
Et son valet tout étonné
Ayant tout bien examiné
Dit au magistrat qui se pâme,
Eh ! Monsieur, reprenez votre âme
Et pour un moment m’écoutez :
Vos fesses n’ont aucune enflure,
Mais seulement leur couverture
N’est pas celle que vous tenez ;
De trois doigts elle est trop étroite
Et je gagerais ma main droite
Que le coquin de cette nuit
Aura mis, pour vous faire peine,
Votre culotte pour la sienne
Dans la valise qui le suit.
Ah ! répond-il, quelle présence !
Tu as raison, je me sens mieux,
Je suis guéri, grâces aux cieux,
Mais que l’on fasse diligence
Pour ravoir ce que l’on m’a pris.
Il n’est diligence qui tienne,
Celui qui a fait la fredaine
Est déjà bien loin de Paris.
Le marquis, instruit de l’affaire,
Et se voyant dépositaire
D’une culotte de grand nom,
Lui porta respect tout de bon :
Il craignit qu’en fouillant la poche
Il n’y eût quelque ordre secret
Du Ministre ou du Cabinet
Qui ne lui fît donner taloche.
C’est pourquoi donc, tout bien pesé,
Il s’en alla d’un air aisé,
Chargé du dépôt respectable,
Il s’en alla, dis-je, soudain,
Chez le Ministre vénérable
Et lui remit en propre main.
Si par malheur Son Éminence
S’avise de la retenir,
Monsieur Hérault pourra mourir
Ou de honte ou d’impatience.
Messieurs de l’ordre calotin
Qui corrigez le sort malin,
Retrouvez la vieille culotte,
Ou bien, s’il n’y faut plus penser,
Du moins pour l’en dédommager,
Donnez-lui nouvelle calotte.
Maurepas, F.Fr.12632, p.389-96 - 1754, V,97-103 Clairambault, F.Fr.12701, p.179-88 - F.Fr.10476, f°9-12 - F.Fr.15144, p.345-359 - BHVP, MS 602, f°220r-222v - Chambre des députés, MS 1441, f°96 -