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Le pénitent à confesse au jésuite

Le pénitent à confesse au jésuite


       Le Pénitent

Mon Père, j’entends dire

Que vous n’ignorez rien.

Voulez-vous bien m’instruire

Pour être homme de bien ?

 

         Le jésuite

Vous ne sauriez mieux faire

Que de venir à nous.

Il n’est point de nos Pères

Qui ne soit tout à vous.

 

       Le Pénitent

J’ai peur, quand mon âme

À nu vous paraîtra,

Vous me traitiez d’infâme

Comme un vrai scélérat.

 

         Le jésuite

Cette erreur est bien vaine,

Nous ne sommes pas gens

À faire tant de peine

À nos chers pénitents.

L’on peut souvent mal faire

Sans être criminel,

Et c’est un grand mystère

Que le péché mortel.

 

       Le Pénitent

Mais j’ai tué mon père

Pour avoir tout son bien,

Empoisonné ma mère

Pour qu’elle n’en dise rien,

Une sœur jeune et sage

Évita le poignard,

Mais je lui fis l’outrage

Qu’Amon fit à Thamar.

 

         Le jésuite

Tout ce que vous me dites

Est mal assurément,

Mais savoir s’il mérite

L’éternel châtiment.

 

       Le Pénitent

Or, dites-moi, mon Père,

Où vous avez trouvé

Qu’on puisse si mal faire

Sans être réprouvé.

 

         Le jésuite

Ce n’est qu’à nos écoles

Qu’on apprend ce secret,

Et deux ou trois paroles

Vous apprendront le fait.

Mais pour vous bien instruire,

Ouvrez-moi votre cœur,

Afin de vous conduire

En sage directeur.

Dites-moi donc, mon frère,

Quand vous avez péché

Avez-vous cru mal faire

Dont le Ciel fut fâché ?

 

       Le Pénitent

Je n’avais rien en tête

Que mon ambition,

Et je suivais en bête

Ma folle passion.

 

         Le jésuite

Tant mieux. Dieu ne s’offense

Que quand on pense à lui ;

Mais voyez l’ignorance

Des pécheurs d’aujourd’hui.

 

       Le Pénitent

Mais, mon Père, j’estime

Qu’en violant sa loi,

J’excitais pour mon crime

Son courroux contre moi.

 

         Le jésuite

Vous vous trompez vous-même

Par cette humilité.

La grâce du baptême

Ne vous a point quitté.

 

       Le Pénitent

Quoi donc, je crois en grâce

Après tous ces malheurs ?

Qu’est-ce donc qui l’efface

De l’âme des pécheurs ?

 

         Le jésuite

C’est ici le mystère

Qu’il faut bien remarquer.

Écoutez-moi, mon frère,

Je vais vous l’expliquer.

Péché philosophique

Est contre la raison,

Péché théologique

Est d’une autre façon.

Ce dernier n’est offense,

Et Dieu n’en est fâché,

Qu’à cause qu’on y pense.

Quand on fait le péché.

Pour le péché philosophique,

Il n’est jamais mortel.

On serait hérétique

En croyant qu’il fût tel ;

Jamais il ne nous ôte

L’amour du Créateur.

Ce n’est pas une faute

Digne de ce malheur.

Voilà comment la grâce

Après tant de fureurs

Trouve encore sa place

En l’âme des pécheurs.

Pour le théologique

Il est souvent mortel

Lorsque l’esprit s’applique

Et songe à l’Éternel.

Quand on a la pensée

De la loi du Seigneur,

C’est une chose aisée

D’offenser sa grandeur.

Il faut pour une offense

Avoir fait le dessein

De braver la clémence

De notre Souverain.

La liberté consiste

À connaître et vouloir,

Et quoique Dieu résiste

Mépriser son pouvoir.

Il est donc fort visible

Qu’en tout temps, en tout lieu,

Ce crime est impossible

Si l’on ne songe à Dieu.

 

       Le Pénitent

Mais l’Église et les Pères

Nous disent-ils cela ?

Ne sont-ils pas contraires

À ces maximes-là ?

 

         Le jésuite

Les Pères malhabiles

N’ont jamais bien cherché,

Non plus que les conciles

De remèdes au péché.

Cette gloire est due

Aux pères de Dijon.

Thèse en fut soutenue

Sans opposition.

 

       Le Pénitent

Je n’ai donc rien à craindre.

Je vas sans me contraindre

Passer mes jours en paix.

Je me trompais moi-même

Dans ma simplicité.

La grâce du baptême

Ne m’a jamais quitté.

 

Numéro
$5205


Année
1715 ?




Références

BHVP, MS 551, p.109-14 - BHVP, MS 580, f°69v-70r