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Trixeratan ou la Loyolade

Trixeratan ou la Loyolade
Noir fut toujours désastreux coloris.
Onc il ne fut l’accoutrement des lys
Et tant beau soit un objet de figure,
Si noir il est, il est de triste augure.
Voyez plutôt pour en être éclairci
Où le noir est, mal encontre est aussi.
Voyez ce juge allant à la Tournelle ;
Le voilà mis en noir fontanelle.
Le médecin, présage du tombeau,
Porte-t-il pas plumage du corbeau ?
Quand du chaos Dieu tira la nature
N’orna-t-il pas la terre de verdure,
D’azur les cieux ? et le sombre manoir
Où gît Satan, comme le fit-il ? Noir.
Même le prince, et c’est grand vilainie,
Semble natif de la Mauritanie,
Si qu’étant nu de la tête au talon,
Diriez que c’est Ignace en pantalon.
Des papelards que la clôture enserre
Torticolis avait semé la terre.
Eussiez-vous mis le nez aux quatre vents
N’était glouton, vaurien adroit, escroc,
Si bon ribaud qui ne vêtit le froc.
Finalement, maintes étables à cochon
Se remplissaient de chefs à capuchon.
Quand le démon, auteur de cet ouvrage,
Las d’opérer perdit enfin courage
Et tout souillé de travaux si vilains
Dans le Cocyte alla tremper ses mains,
Venu qu’il fut sur l’infernale plage,
Convoqué fut le noir aéropage.
Torticolis, lui dit le roi cornu,
Salut. Or ça que t’est-il advenu ?
Seigneur, répart l’apôtre au front d’ébène,
Ta gueule aura désormais mainte aubaine ;
J’ai tant fait, tant soufflé, tant ourdi
Que du bateau le ciel est étourdi
Par mon haleine et ma sourde menée.
De francs vilains la terre est embrenée ;
Communément moines ils sont nommés.
De notre esprit si bien animés
Si très enclins à cautelle et feintise,
A grand luxure, orgueil, fainéantise,
Qu’un jour à nous venus par leurs méfaits
Sans noviciat seront diables parfaits.
En attendant cette semence immonde
Fera céans dévaler force monde,
Séduisant tout par devis suborneur
Si bandant femmes et fillettes d’honneur
Car ayant lu dans ma gente rubrique
Ce que sur tout nous vaut le feu lubrique,
Je n’ai failli comme un fin maître ès arts
De le souffler au cul de ces paillards
Si que toi-même, O bouc ardent, n’aspire
Mainte chrétienne en va savoir que dire,
Mainte poulette au confessionnal
Par le renard va être mise à mal.
Pour des cocus et des enfants précoces
En va pleuvoir, Seigneur, tant que de noces.
Mais partout où de tels gens seront
Auront martel en tête comme au front
Au demeurant de cette gent fatale
Doit dans le sein d’une fausse vestale
Issir un jour le tant noble antéchrist.
Pour quoi voilà, grâce à mon ministère,
Qu’avons trestous nos vicaires en terre,
Et bien et beau les laissant travailler
Pattes ne pieds n’avons plus à grouiller.
Bien donc, Seigneur, ne suis-je pas bon compère
Dans tout l’enclos de ce noir hémisphère ?
Onc eusses-tu trouvé nonce ou légat
Qui pour ta gloire eût fait si beau dégât.
A tant finit Torticolis son dire.
Trikeratan, prince du sombre empire,
Pour être ouï levant la griffe en l’air
Tint ce propos au monarque d’enfer.
Ne puis-je à l’aise un sacré papimane
Baigner un jour en eau grégoriane,
Si d’un coup seul à ce galant champion,
Tout maintenant je ne dame le pion.
Nous voici bien avec sa gent ribaude
Et ces jongleurs que tant il nous clabaude.
Avec femelles on les voit penailler.
De tels paillards n’est-il pas à milliers ?
N’était besoin de moines pour ce faire ;
Cocus sans eux se faisaient bien sur terre
Quoi que ce soit, celui-ci de retour,
Malheur à vous, humains, c’est à mon tour.
Sur vous je vais fianter de plus belle.
Gare le monde à ma première selle.
Je suis un sot ou, devant que soit peu,
Ventre de bouc, on y verra beau jeu.
Sur ce le goulu avale à gueule avide
Pruneaux lavés dans le lac asphaltide
Et rajustant son aile en quelqu’endroit
Hurle, fend l’air, s’élève et disparaît.
Au clair zénith bientôt le vilain touche.
A son aspect le soleil s’effarouche,
D’effroi d’abord en saute à reculons,
Puis tôt après en a l’aile au talon.
Affreuse nue au monde la dérobe.
L’oiseau d’enfer entre elle et notre globe
Epaissit l’air, d’où quand le ciel est noir
On dit depuis : jésuites vont pleuvoir.
Car en tel temps par céleste vengeance
De ces corbeaux nous chut la noire engeance.
O temps, pourquoi t’avons-nous survécu ?
Mie aujourd’hui n’en aurions dans le cul.
Le diable donc, ébattant avec joie
Ses ailerons tissus en patte d’oie,
Un bruit grondeur dans son bas-ventre infect
De ses pruneaux lui fit sentir l’effet.
La Gaule alors lui sert de pot de chambre
Ce qu’il y fait ne sent rien moins que l’ambre,
Puants morceaux tombent de son fessier,
Morceaux plus noirs que mains de charbonniers
De ce pertuis le premier sort Ignace.
De cette chute une jambe il se casse,
Mais de moins haut fût-il cent fois tombé,
Onc n’eût été sans prendre  marque au B.
Toujours sur soi eut maligne pécore
Raison meilleure en apprenez encore.
Le bon saint fait, le gai Trixeratan
Pousse, roussine et nous fait pis qu’en tant
En moins de rien Pannonie, Hespérie,
Tout se ressent, Japon, [ill.] Ibérie,
Nul coin au monde au foirard hébergé
Napparaît lors qui ne soit aspergé.
De ce démon les enfants sans vergogne,
Torticolis, effacent ta besogne
Trikeratan du cul fait plus d’exploits
Qu’au temps jadis tu ne fis des dix doigts
Les moines tiens troubles prou de familles,
Maisons, ménages où font telles vétilles
Ils sauront prou, cauteleux directeurs,
A legs pieux induire testateurs
A doux ébats les gentilles pucelles
A trahison les épouses fidèles
Ains à ceux-ci ne convient pour si peu
Mettre leurs lacs et virolets en jeu
Dans les États ils faisaient grande noise
Comme les tiens n’en veulent aux galoises
Ains méchamment raffinant en amour
Dans le déduit s’y prennent au rebours.
Aux gitons seuls leurs vœux sales les portent
Par trop aimant le pertuis dont ils sortent.
Ce n’est le tout. A légières erreurs
Comme les tiens ne donnent ces docteurs
Ains droitement, par astuce subtile,
Attaquent Dieu, renversent l’Évangile,
Prendre le ciel au poil, le monde au cul,
Torticolis, eh bien, qu’est-ce ? Entends-tu ?

Numéro
$4833


Année
1732?

Auteur
Piron



Références

Arsenal 3128, f°220v-222v - BHVP, MS 703, f°68r-69v


Notes

Le texte apparaît dans un ensemble relatif à l'affaire Girard, donc entre 1731 et 1732