Aller au contenu principal

Histoire véritable de la correction faite par le public à un abbé sulpicien et précepteur du neveu du Père de Trévoux, jour que les avocats ont cessé leurs fonctions.

 

Histoire véritable1 de la correction faite par le public

à un abbé sulpicien et précepteur du neveu du Père de Trévoux,

le jour que les avocats ont cessé leurs fonctions2

Lorsque M. de Vintimille,

Prélat au teint frais et vermeil,

Eut fait promener par la ville

Un certain arrêt du Conseil

Qui le mettait en puissance

De déclarer les avocats

Hérétiques pour certain cas,

Par eux jugés sans compétence,

Ceux-ci de leur côté, voyant que l'audience

Était partout fermée à ce sujet,

Aimèrent mieux se résoudre au silence

Que reconnaître un injuste décret

Et gardèrent leur éloquence,

Pour un meilleur temps. En effet

Point de nouvelle tentative

À faire, point de liberté

Pour choisir comment, par quelque lessive

La tache d'héréticité

Dont cette compagnie à tort était taxée

Pourrait enfin être effacée.

Le premier jour de l'interdit,

Volontaire comme on l'a dit,

Certain précepteur de collège

Qui savait la bulle en latin

Vint au Palais de grand matin

À petit bruit et sans cortège.

L'intriguante Société,

On reconnaît là les jésuites,

Tout exprès l'avaient député

Pour voir quelles seraient les suites

De cette affaire. Notre abbé

Avait grand faim de bénéfices.

Mais par fureur et maléfices

Il fallait les avoir mérités.

Tout doucement donc il se glisse

Dans un endroit où les plaideurs

Attendaient qu'on ouvre la porte.

Il y avait gens de toute sorte

Et pas un de nos orateurs.

Aussi là son zèle l'emporte ;

Il écarte avec les deux bras

Ceux qu'il trouve à son passage

Et s'avance avec grand fracas

Vers l'endroit où maint personnage

Donnait à l'envi son suffrage

Au silence des avocats.

Son coeur est plein de fiel et d'amertume,

Ses lèvres blanchissent d'écume,

La rage est peinte dans ses yeux

Et sa langue à peine articule

Quelques traits calomnieux.

À son aspect chacun recule,

Saisi d'une subite horreur.

Ce préambule de fureur

Semble être d'un sinistre augure.

Enfin, après quelque murmure,

Notre nouveau prédicateur

Faisant grimacer sa figure,

Au hasard décoche ses traits.

Eh quoi, dit-il, cet ordre fanatique

parce qu'on le juge hérétique

Aura déserté le Palais ?

Arme-toi, vengeance publique,

Et qu'il paraisse avec éclat ;

Tu peux arracher la victoire

Des mains de ce corps scélérat

Qui n'a que trop terni la gloire

Et de l'Église et de l'État.

Il est temps de couper la trame

De ces complots injurieux ;

Que le fer, qu'un gibet infâme

pour jamais dérobe à nos yeux

Ces monstres dont la voix réclame

D'imaginaires libertés,

Que les os de ces révoltés

Réduits en cendres par la flamme

Sur les ailes des vents soient au loin emportés.

J'ai vu cette troupe infidèle

Lever une tête rebelle

Et critiquer impunément

La doctrine d'un mandement,

Fruit de l'active vigilance

D'un prélat sobre et modéré,

Dès sa jeunesse consacré

Aux travaux de la pénitence.

La Fère, Culéon, Fleury,

Hanriau, Delisle, Bissy,

Tencin, Languet, La Parisière,

Avec le trait d'une vive lumière

Touchent nos coeurs, éclairent nos esprits.

Vous êtes l'Église enseignante ;

Soutenez la foi chancelante

Par votre exemple et vos écrits ;

La religion désolée

Dans son besoin vous demande à grands cris

Une prompte assemblée.

Venez nous montrer le venin

Qui s'est glissé dans plus d'un livre

Et chasser la verge à la main

L'erreur dont le public s'enivre.

Commandez, c'est à nous de suivre

Vos préceptes sans examen.

Au nom du pontife romain,

Tonnez, foudroyez la cabale

Ôtez s'il se peut le scandale

Que tout un peuple, tous les jours,

Cause dans un de nos faubourgs

Par des neuvaines schismatiques.

À ces prestiges de Satan

Opposez de puissants obstacles.

Armez contre ces faux miracles

La colère du Vatican.

Renversez ce marbre profane

Qui couvre de vils ornements

Sans craindre les emportements

D'un zèle que le Ciel condamne.

Sans la bulle, point de salut.

Prouver cela, c'est votre but ;

Montrez qu'un appel sacrilège

N'a pu donner le privilège

Que l'on attribue à Pâris.

Que par vous ces hommes flétris

Désabusent la populace

Qui prend dans sa coupable audace

Un corps maudit pour un trésor.

Faites-en comme du veau d'or

Et qu'elle en avale la cendre

Pour la punir de son égarement.

Sans dépit, qui pourrait entendre

De tels excès ? Aussi l'étonnement

causé par cet affreux délire

Avait ôté pour ainsi dire

Et l'esprit et le sentiment,

Lorsqu'un officier militaire

Qui se trouvait là par hasard :

Oh, c'en est trop, je ne puis plus me taire,

Dit-il. À l'instant sa main part

Comme un éclair, va frapper la joue

Du téméraire babillard.

Quoi, même la fureur se joue

D'un saint qu'on voit à son tombeau

Opérer tous les jours un miracle nouveau !

Mais j'entrevois le motif qui l'anime ;

Il le fallait acheter par un crime.

Monstre vomi par les enfers,

Tu viens ici placer sous l'anathème

Ces généreux interprètes des lois

Qui font briller par leur retraite même

Leur attachement à nos rois,

Et ta bouche à l'instant consacrée au blasphème,

Sans nul respect pour cet auguste lieu,

Avec une insolence extrême

Attaque les amis de Dieu.

Pour seconder des noirs enfants d'Ignace

Les projets monstrueux,

Girard, infâme incestueux,

Par toi ne pourrait-il être mis à la place

De ce diacre vertueux ?

Cela manque aux excès d'un zèle impétueux

Tel que le tien. Quoi, tu souffles encore ?

Sauve tes jours d'un peuple qui t'abhorre,

Prêt de venger sur toi l'outrage fait aux saints.

Quelque infâme que fût ce genre de martyre,

Il servirait trop bien aux desseins

D'une Société qui te mène et t'inspire.

Sors, et deux fois ne te le fais pas dire.

L'abbé prôneur qui lisait dans les yeux

Des assistants enflammés de colère

Qu'il ne faisait bon pour lui dans ces lieux

Crut qu'en fuyant il sortirait d'affaire.

Vers la grand salle il fait donc quelques pas.

Monsieur l'abbé, dit quelqu'un de la troupe,

Vous n'avez pas ici le vent en poupe.

Holà, rentrez, trop sale est votre cas.

Rien qu'un soufflet pour une telle offense ?

Vous en seriez quitte à très bon marché.

Ici s'est commis le péché,

Il faut ici subir la pénitence.

De l'imposer je prends sur moi le soin.

En même temps un rude coup de poing

Dans l'estomac fait tomber en arrière

notre envoyé, pâle, interdit, défait,

qui d'une voix tremblante se plaignait

D'une meurtrissure au derrière.

Il n'était pas au bout, pas même à la moitié.

Celui-ci dans le dos lui donne un coup de pied,

Celui-là d'une main robuste

En le tirant déchire son manteau.

On le pousse, on le tarabuste,

On le roule sur le carreau,

Sans rabat, manteau, ni calotte

Qui sont déjà bien loin du corps que l'on balotte.

Pardon, s'écriait-il, je suis estropié.

Malgré ses cris un chacun le picote.

Son visage, tout noir de poussière et de crotte,

Pour un autre sujet eût ému de pitié,

Mais le peuple irrité le traite comme impie.

Ah qu'importe qu'on l'estropie :

Blasphémateur, orateur de Satan,

Qui t'a dicté ta mauvaise harangue ?

Tu méritais le fouet, le carreau,

Nous devrions t'arracher la langue.

Te faire pis encore, nous sommes bien trop doux.

Rends grâce à Dieu qui retient mon couroux.

Tu pourrais bien sauter par la fenêtre.

Mais voyons donc cette façon de prêtre.

Tu te rétracteras, allons vite à genoux,

Ou bien attends à périr de nos coups.

L'abbé, voyant qu'on lui parlait en maître

Et que d'ailleurs il n'était le plus fort :

Eh bien, dit-il, que veut-on que je fasse

Pour éviter un si tragique sort

Dont votre dépit me menace ?

Vous m'avez trop bien fait sentir que j'avais tort,

Et s'il ne faut que se dédire,

Sans peine à votre arrêt on me verra souscrire.

Il faut de plus faire abjuration.

Point de salut sans cela, point de trève.

Sur ses genoux à l'instant on le lève.

J'acepte tout dit-il, avec soumission,

Que le souffleur fasse bien son office,

Et si je manque un mot que le ciel me punisse.

De tout mon coeur, oui, je vous le promets,

Que dans ces lieux je ne viendrai jamais.

Pour tel dessein, à tort j'ai voulu mordre.

Les avocats, je respecte cet ordre,

Il pense bien, il agit encore mieux.

Le procédé du prélat Vintimille

À tous égards est injuste, odieux,

Et le Conseil est aussi trop facile.

J'abjure la société,

C'est elle qui m'a député

Pour faire une sottise insigne.

Jamais elle ne fut plus digne

De la haine du genre humain.

Je commencerai dès demain

À saint Pâris une neuvaine,

Et s'il faut une quarantaine.

Je déteste les abus

De Rome en France répandus

Par une Bulle abominable

Qui n'a pour père que le Diable

Et qu'on nomme Unigenitus.

Qu'on appelle au futur concile !

Dorénavant je lirai l'Évangile

Et veux soutenir en tous lieux

Contre les mauvais casuistes,

Surtout contre les jésuites,

Le dogme de l'amour de Dieu.

Contre une erreur imaginaire

Quand je signerais le Formulaire

je pècherais bien grièvement.

Je fus un parjure, un faussaire,

Et je rétracte mon serment.

C'est pour une injustice énorme

Que Tencin, ébloui par l'espoir d'un chapeau,

Dans un concile, nul au fond, rien dans sa forme,

Fit séparer de son troupeau

Des évêques français le plus parfait modèle.

Dès ce moment j'épouse sa querelle,

Je voue à Troyes, Auxerre, Montpellier

Un attachement singulier.

Ce sont prélats que je révère,

Aux sentiments de qui j'adhère.

Libre de toute ambition,

Faisant divorce avec les injustices,

je prends la résolution

De renoncer aux bénéfices.

Il n'est point d'appas si puissants.

La tentation vient, on la voit, on la sent.

De se vaincre on n'a pas la force.

J'y succombais. D'un autre devoir

Je tâcherai d'étouffer la voix trop importune.

J'en viens à bout, et jamais à me voir

Dans le chemin de la fortune

Puisqu'aujourd'hui vos soins officieux

M'ont enfin dessillé les yeux.

Mieux avisé, je prends une autre route.

C'en est fait et quoiqu'il m'en coûte,

Dût-on m'offrir chapelle et prieuré,

Canonciat, cure, prébende,

Jamais je n'en accepterai.

Tout est pour moi de contrebande.

Une conversion faite en si peu de temps

Charme, étonne les assistants.

Mais le souffleur, plus que tout autre,

Qui déjà se figure être un apôtre,

En prétend la meilleure part

Au clément du néophyte.

Ses nippes étaient à l'écart ;

On les lui porte et sa mine hypocrite

trompe si bien qu'à Saint-Médard

Tout le monde en crie miracle.

À sa retraite on ne fait plus obstacle.

La foule s'ouvre, on le contemple, il part.

Par politesse il marche tête nue

En composant son maintien avec art.

Il avançait vers la Sainte-Chapelle,

Quand tout à coup une frayeur mortelle

S'empare de notre cafard.

Croyant encore avoir un souffleur à ses trousses,

Il court, mais un gros laquais

Qui faisait sentinelle aux portes du palais

Lui donne bien d'autres secousses.

On l'arrête au passage, on l'épluche de près.

Son repentir ne peut être sincère.

Il a, dit-on, l'air apostat

Et tout à fait patibulaire.

Et pourquoi fuirait-il d'une course légère

Si ce n'était un renégat ?

Il ne sortira pas de nos mains brayes nettes.

Grâces à Dieu, nous ne sommes perclus,

Il lui faut donc encore passer par less baguettes.

Le patient n'en pouvait plus

Et criait comme un misérable,

Mais ses cris étaient superflus

Et la livrée inexorable,

Dans son ardeur infatigable,

Donnait sur le dos et partout.

Allons, du coeur, vous n'êtes pas au bout.

Monsieur l'abbé, prenez le long des boutiques.

Peut-être essuierez-vous quelques traits satiriques,

Mais on sera bien aise de vous voir.

Lui de passer et brocards de pleuvoir.

N'était si petite marchande

Qui de dictum sachant une légende

De les lui débiter ne se fit un devoir.

Ah c'est donc vous, Monsieur le rien qui vaille,

Qui déclamez contre le bienheureux ?

Vous prenez mal votre champ de bataille.

Ici le sort vous est malencontreux.

Si pareil désir vous travaille

À l'avenir bourrez-vous bien le dos

Et le mettez, s'il se peut, à l'épreuve ;

Ou bien prenez cuirasse toute neuve.

De pied en cap, armé comme un héros,

La Bulle aura en vous un don quichotte.

Osez tout à fait la venger des affronts

Qu'elle reçoit partout aux environs.

Un armet vous siéra bien mieux qu'une calotte.

Dès à présent faites-vous chevalier

De sainte Marie Alacoque.

N'étant encore que séculier,

Loyola en père équivoque

D'une race nombreuse aujourd'hui qui l'invoque

Prit un titre aussi singulier.

Pendant que les lardons d'une troupe mutine

Volaient de tous côtés, un frétillant essaim

De polissons faisaient sur son échine

De temps en temps pleuvoir des coups de main.

Bafoué, disloqué, faisant piteuse mine,

Jurant tout bas, il parvint à la fin

À l'escalier qui montre le chemin

De la place Dauphine.

Là, les laquais lui firent leurs adieux.

Aller plus loin, qu'était-il nécessaire ?

Ils étaient là, ils le suivaient des yeux.

Les polissons en firent leur affaire ;

Ils le huaient, ouvrant un large bec,

Et racontaient aux passants son histoire.

Sur le Pont-Neuf, encore nouvel échec.

Il y pensa perdre une mâchoire.

Le grand Thomas s'avance le premier

Et montrant avec faste un énorme dentier :

Livrez-le-moi, dit-il, s'il allait mordre,

Il en pourrait arriver du désordre.

Pour prévenir de pareils accidents,

Je veux vous mettre en main toutes ses dents.

Arrive sur ces entrefaites

Une troupe de femellettes

Qui brusquement prétendent le juger.

Aussitôt pour l'interroger

Les décrotteurs apportent leurs sellettes.

Si l'on en croit peut-être un bruit mensonger,

Je ne garantis rien, dans le pressant danger

Ses brayes n'étaient pas trop nettes,

Effets assez communs des races indiscrètes.

Du moins vit-on grimacer les voisins

Et se presser les nez avec les mains.

Notre aéropage femelle

Onc n'avait vu d'âme si criminelle.

Toutes étaient d'avis, vu la proximité,

Que dans la Seine il fut jeté,

Et la sentence allait être suivie

D'une prompte exécution,

Lorsque le patient saisit l'occasion

D'un embarras qui lui sauva la vie.

Maints carrosses en ce lieu croissant fort à propos

Pressent et dérangent l'assemblée.

Il est lui-même entraîné par les flots,

Puis confondu dans la mêlée.

Pour s'en tirer il fait d'heureux efforts.

Un fiacre auquel il se cramponne

Avait déjà bien loin emporté sa personne

Lorsqu'on le reconnut à son noir justaucorps.

On court, on crie : Arrête, fiacre, arrête.

Mais le fiacre qui craint d'avoir cassé la tête

À quelqu'un, rompu quelque bras

Ou causé quelque autre dommage,

Comme souvent arrive en pareil cas,

Ne s'enfuit que plus vite et fait doubler le pas

À ses deux rosses d'attelage

Ainsi notre pédant dut à ce quiproquo

De n'avoir pas fini ses jours dans l'eau.

 

  • 1Autre titre : L'abbé souffleté, histoire véritable (F.Fr.15145)
  • 2Dans BHVP, MS 602, le poème est précédé par la note suivante: Portrait de l’abbé Merget, qui a été bafoué, souffleté, tiraillé et bâtonné dans la salle du Palais pour avoir indiscrètement parlé contre les avocats et leur conduite le 27 août 1731, le matin au sortir de la petite audience dans le parquet des huisiers de la Grand-Chambre. Cet abbé Merget est de Roye en Picardie, canonicat donné par M le cardinal de Fleury, âgé de 30 ans, prêtre depuis six mois, disant la mese à Sainte-Geneviève, derrière la châsse ; de poil châtain tirant un peu sur le rouge, portant calotte, de cinq pieds à trois pouces de hauteur, maigre et pâle de visage, les yeux un peu malades ; de complexion délicate, alorte de corps, marchant fort vite, natif de Toul en Lorraine ; précepteur des [ill.] Tournemine et Trévoux au collège de Louis-le-Grand, beau-frère du chevalier d’Hatier, premier gentilhomme du cardinal de Fleury et sous-lieutenant des grenadiers à cheval, actuellement à Verdun depuis 15 jours, qui est neveu de l’abbé d’Hatier qui tient la feuille des bénéfices. L’abbé est connu sous un autre nom.

Numéro
$4528


Année
1731 27 août




Références

F.Fr.15020, f°214-232 - F.Fr.15145, p.11-40 - BHVP, MS 602, f°223r-228v - Stromates, I, 59 - Lille BM, MS 64, p.341-66


Notes

 

Histoire de M. de la Planche arrivée au Palais au mois d’août 1731 (F.Fr.15020)