

Requête des harengères à M. le Régent
au sujet de l’appel au futur concile1
Grand prince, si jadis nos muses
Ne te parurent point camuses,
Quand j’allions d’un cœur si loyal
Dansant vers le Palais Royal,
Pour célébrer de la Régence
La pompe et la magnificence :
Nous espérons bien aujourd’hui
Que tu calmeras notre ennui.
Alors nous fûmes prophétesses,
Quoique, comme des ivrognesses,
Un chacun se moquît de nous ;
Mais je les méprisîs tous.
Nos Sibylles par leur oracle,
Mirent d’abord sur le pinacle
Le religieux d’Aguesseau,
Magistrat si digne du sceau.
Nous chantîmes du sieur Noailles
Et les exploits et les batailles ;
Par nous son nom a refleuri
Ainsi que Joly de Fleury.
Nous annoncîmes à la France
La très subite décadence
Des jésuites ses amis,
Des partisans et leurs commis.
Cent fois j’avons crié victoire
En entonna t quelque air à boire,
Grand prince, tant nous espérions
Que jamais je ne pleurerions ;
Cependant, par un coup de foudre,
Tu viens de nous réduire en poudre
En donnant lettre de cachet
Au très célèbre Ravechet2,
Syndic de madame Sorbonne,
Dont la morale, toujours bonne,
A décidé plus de cent fois
Qu’à moins qu’on ne fût aux abois
Et qu’on n’eût la face très blême,
Il fallait jeûner le carême ;
Car sans cela nous périssons.
Mais ce qui fort nous inquiète
Et nous cause grand mal de tête,
C’est l’exil des quatre prélats
Pour qui gardons nos meilleurs plats :
Car pour d’aucuns de leurs confrères,
Avec nous ne font point affaires,
Excepté le vendredi saint
Et la veille de la Toussaint ;
Ce qui cause de grands scandales
Dans nos marchés et dans nos halles,
De voir ainsi ces messeigneurs
Envoyer chez les rôtisseurs
Plutôt que chez les harengères :
A cela ne penserons guères.
Mais revenons à Mirepoix,
Cet évêque d’un si grand poids,
Ce nouveau père de l’Église,
Cette chevelure si grise,
Avec le pasteur de Senez,
Qui ne saigna jamais du nez,
Non plus que celui de Boulogne,
Si chéri du duc de Bourgogne,
Comme celui de Montpellier,
L’antagoniste de Tellier,
Sont tous chassés de cette ville
Parce qu’ils veulent un concile.
Régent, en cette occasion,
Gare ta réputation !
Mais voici la fête de Pâqucs,
Où j’allons tous laver nos caques
Chez les bons pères récollets
Et non chez les petits collets,
Qui renvoient comme les drilles,
Disant qu’ils suivent l’Évangile
Et non la Constitution,
Ainsi point d’absolution.
Voici donc la semaine sainte
Où nos pleurs couleront sans feinte,
Temps destiné pour les pardons :
Pour eux je te le demandons,
Comme au Seigneur tu le demandes
Dans tes vœux et dans tes offrandes.
Laisse donc toute liberté
Aux amis de la verité ;
Et la paix avec l’abondance
Régneront à jamais en France,
Quoi qu’en pensent quelques humains
Partisans des ultramontains.
Le Seigneur te sera propice
Si, dans la Chambre de justice,
Qui s’en va finir, ce dit-on,
Tu mets la Constitution.
Alors nos muses consolées
Chanteront dessous les allées,
Au printemps, la belle saison,
D’Orléans le beau carillon.
Surtout, prince si débonnaire,
A notre brave secrétaire,
Si tu payes encre et papier
Pour continuer le métier.
Numéro $0189
Année 1717
Description
99 vers
Références
Raunié, II,208-12 - Clairambault, F.Fr.12696, p.233-39 - Maurepas, F.Fr.12629, p.39-42 - Arsenal 2961, p.397-402 - Arsenal 3132, p.295-99 - Arsenal 2930, p.214-15
Mots Clefs Jansénisme, harengères,langage poissard, Aguesseau, Duc de Noailles, Joly de Fleury, évêques de Mirepoix, de Senez, de Montpellier et de Boulogne, Le Blanc, Soanen, Colbert et de Langle, appel de 1717