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Autre réponse à l'ode apologétique pour le père Girard, commençant par : Vous qui de l'équitable…

Autre réponse à l’ode apologétique pour le Père Girard commençant par : Vous qui de l’équitable Astrée1
Quel est ce mortel téméraire
Qui ne craint point de s’avancer
Jusqu’au fond de mon sanctuaire
Pour m’aigrir et pour m’offenser ?
L’insolence qu’il fait paraître
Me fait aisément reconnaître
Un député de Loyola.
Nul autre ne serait capable
D’un attentat si détestable
Ni de porter l’art jusque là.

Ces fins et rusés politiques
Ont corrompu tous les esprits
Et par leurs horribles écrits2
Et par leurs impies édits
Les rois, les magistrats, les princes,
Les royaumes et les provinces
Tremblent sous leur autorité.
Ils veulent encor par leurs brigues,
Dans leurs sacrilèges intrigues
Intéresser la vérité.

Ils veulent que je favorise
Un impudique, un séducteur
Qu’avec droit la terre méprise,
Et le ciel voit avec horreur,
Et que je prenne la défense
D’un scélérat dont l’impudence
A révolté le genre humain.
Ils veulent qu’à leur fantaisie,
Au mensonge, à l’hypocrisie
La vérité donne la main.

Ils affectent pour me surprendre
Des hommages et des respects
Qu’ils n’ont jamais voulu me rendre
Malgré mes droits les moins suspects.
Ils m’ont depuis longtemps bannie
Loin du commerce de la vie
Par leurs équivoques détours
Et pour dérober leur ordure
Aux yeux de toute la nature
Ils m’appellent à leur secours.

Ils m’ont si bien enveloppée
Des nuages les plus affreux
Que toute l’Europe trompée
Est dans un état ténébreux.
Et pour comble d’outrage un traître
Vient me défier de paraître
Avecque ma simplicité.
Mais malgré tout cet artifice
Je saurai démasquer le vice
Et confondre l’iniquité.

L’ordre sacré du sacerdoce
N’est que dans la Société,
Pour la laver du crime atroce
On choque la divinité,
Et par un horrible blasphème
On appelle élu de Dieu même
Un incestueux, un sorcier.
On veut que la puissante grâce
Ait du vice suivi la trace
Et l’ait couronné tout entier.

On veut la faire inadmissible
Comme l’a prétendu Calvin
Et qu’il soit au juste impossible
D’abandonner l’amour divin.
Mais qu’un superbe moliniste
Ose devenir janséniste,
Cela ne doit point étonner
Il n’est rien qu’il ne sacrifie
Au profit de la compagnie,
Fallût-il Christ abandonner.

Un imposteur qui m’a prêchée
Est à l’instant canonisé
Quoiqu’il m’ait fort souvent cachée
Et le vice favorisé.
Je ne dois rien à sa mémoire
Il n’a point prêché pour ma gloire
Ni du Dieu dont je suis la loi,
Et quiconque prend la défense
De sa prétendue innocence
Me détruit et détruit la foi.

Quel juste, sage renommée,
Avais-tu si longtemps prôné ?
Tu n’étais donc pas informée
Du scandale qu’il a donné
Dans tant de lieux que cet infâme
Digne de l’éternelle flamme
A souillé de crime et d’horreur ?
Mais le Dieu saint dont la justice
Dénonce tôt ou tard le vice
T’a fait connaître l’imposteur.

Une jeune fille abusée
Par un tricornin, vieux renard,
N’est que fanatique rusée
Dès qu’elle accuse ce paillard
Qu’on fait un saint du premier ordre
Que la critique ne peut mordre
Sans offenser la vérité.
Chez les Loyola, c’est un ange
Qui ne mérite que louange
Malgré son impudicité.

Découvrir les horribles crimes
De cet impie tricornin
Prêt à tomber dans les abîmes
Ce n’est rien moins qu’un assassin.
Mais calomnier un bon prêtre,
Un carme, un jacobin peut-être,
Des vrais saints, des élus de Dieu,
Quoiqu’ose dire la critique,
C’est une action héroïque,
Digne de louange en tout lieu.

On fait, grand Dieu, de tes oracles
L’interprète un loup ravissant.
Que ne montres-tu tes miracles
Pour arrêter ce mal naissant !
On donne le nom de fantôme
Aux forfaits de ce méchant homme
Dont cent témoins ont déposé,
On les appelle des idées
Sur nul autre chose fondées
Que sur des écrits supposés.

D’un prêtre, il est vrai, le scandale
Tant qu’on peut il faut empêcher,
Et même la pourpre royale
N’a rien de trop pour le cacher.
Mais s’ils tenaient bien ces maximes,
Auraient-ils supposé des crimes
A trois ministres des autels
A qui ces langues homicides
De leur confusion avides
Portent encore des coups mortels ?

Défenseur de la foi naissante
Et des droits sacrés du Seigneur,
Vous dont l’autorité puissante
Fut toute à venger son honneur,
Si votre esprit régnait en France,
Resterait-il quelque espérance
A l’enchanteur qui l’a séduit ?
Aurait-on d’assez grand supplice
Pour punir sa noire malice
Et l’affreux système qu’il suit ?

Sous les yeux de la populace
Il satisfait ses passions
Et cet impie quoiqu’il fasse
Veut qu’on loue ses actions.
Il prétend que le caractère
Qui l’applique au saint ministère
Ses crimes doit autoriser,
Et que chacun dans le silence
Doit respecter son impudence
Et même la canoniser.

Si c’était l’équitable Astrée
Qui dût prononcer librement,
De cette déesse sacrée
On attendrait le jugement.
Mais des juges dont l’injustice
Ne tend qu’à couronner le vice
Ne méritent pas d’être crus.
Il est clair que la Compagnie
D’Astrée toujours ennemie
Les a presque tous corrompus.

Mais non, leur constante droiture
Sur la brigue l’emportera
Et de sa maligne imposture
La vérité triomphera.
Ainsi son impie doctrine
Verra sa totale ruine
Où l’on cherchait son ferme appui
D’abord que l’arrêt équitable
Aura condamné le coupable
Qui triomphe encore aujourd’hui.

Molinos fut de l’Évangile
Un héros semblable au recteur,
Mais il n’en fut pas moins fragile
Ni moins ministre de l’erreur.
On le crut toujours un apôtre
Mille fois plus saint que le nôtre.
Mais on ne le crut pas toujours,
Car ce détestable hypocrite
Avec son prétendu mérite
Dans la prison finit ses jours.

  • 1Autre titre : Plainte de la vérité sur l'ode apologétique faite en faveur du Père Girard, jésuite, juin 1731. (F.Fr.12702, Turin)
  • 2Par leurs discours et leurs pratiques (Turin)

Numéro
$1896


Année
1731




Références

Clairambault, F.Fr.12702, p.77-83 - Maurepas, F.Fr.12632, p.237-44 -  F.Fr.15020, f°179 x 2 x 12 -F.Fr.15145, p.394-408 - F.Fr.15231, f°90-93 - F.Fr.15243, f°58-61 - F.Fr.23859, f°8r-10v - Turin, 34-43


Notes

$1894 et $1896 réfutent $1893 qui est une défense du P. Girard