Chanson sur le Père Girard
Chanson sur le Père Girard
Or écoutez, peuple chrétien,
Les discours d’un fort grand vaurien.
C’est de Girard le jésuite
Qui, sous un habit hypocrite,
S’abandonnait à son penchant
Sans craindre d’aucun châtiment.
On craint, disait-il, notre corps,
Nos intrigues et nos ressorts.
Nous savons nous faire justice
Pour peu qu’on nous désobéisse.
N’avons-nous pas puni des rois
Pour s’être opposés à nos lois ?
Une fille de bas aloi
Vaut-elle qu’on s’attaque à moi ?
Moi, prédicateur de mérite,
La Cadière j’aurais séduite ?
Ah ! sans un carme épilogueur
Elle en tirait beaucoup d’honneur.
Par complaisance et par bonté
J’examinais de son côté
Et de tout son corps stigmates.
Mais que cette fille est ingrate
De me faire un crime à présent
De choses qui lui plaisaient tant.
Avec elle je m’enfermais
Et dans mes bras je la serrais
Quand je la voyais en extase.
C’est à tort que le monde en jase.
C’était à bonne intention.
Que je faisais cette action.
Mais fût-il vrai ce que l’on dit,
Beau sexe, c’est votre crédit
Que dans mon malheur je réclame.
Dois-je passer pour un infâme,
Moi qui n’ai fait aucun des maux
Qui font tant de bruit à Bordeaux ?
Pour corriger un grand péché
Dont chez nous on est entiché,
Je donne le premier exemple
Afin qu’en moi l’ordre contemple
Un célèbre réformateur
Qui s’y livrait de tout son cœur.
J’ai de plus le secret caché
De toute la Société.
Si l’on souffrait que je périsse,
J’en découvrirais l’artifice
Et ferais voir tant de forfaits
Qu’on les bannirait pour jamais.
De cette Constitution
Qui sert à notre ambition,
Si l’on pénétrait le mystère
Et ce que nous en voulons faire,
Les prélats seraient étonnés
Comme on les mène par le nez.
Sous le faux esprit d’un chapeau
Ils nous font tous le pied de veau,
Renonçant à leur privilège,
A Rome soumettant leurs sièges.
Mais le pape infaillible un jour
Saura leur jouer un bon tour.
Au premier qui n’obéira,
Un bref au même instant viendra
Où, quoiqu’il dise ou quoi qu’il fasse,
On le chassera de sa place
Comme ayant lui-même approuvé
Le droit d’infaillibilité.
Souvenez-vous de ces curés
Par votre autorité chassés
De leur maison avec scandale.
La loi, dira-t-on, est égale,
Les évêchés viennent de nous
Ainsi que les cures de vous.
Si vous allez au Parlement
Pour réformer ce jugement,
Vous dites qu’il est anathème :
Ainsi par vos paroles mêmes
Que vous servira son appui
Que vous condamnez aujourd’hui ?
Les papes sont seuls souverains
Et le Seigneur a dans leurs mains
Déposé sa toute-puissance
Malgré ce qu’on en dit en France
On ne peut plus nier ce fait,
Tenant pour saint Grégoire Sept.
Nous avons du père Guignard
Encor les écrits quelque part.
Jouvency qui le canonise
Veut qu’un moliniste le lise
Pour avoir la protection du chef de la religion1
.
- 1Curieuse rupture de métrique.
Lille BM, MS 69, p.9-14