Aller au contenu principal

Désespoir du Père Girard

Désespoir du Père Girard
Stances sur le Pater
Dans l’affreux désespoir dont mon âme est troublée
A qui dans l’univers pourrai-je avoir recours ?
Après les noirs forfaits dont elle s’est souillée
A qui pourrai-je dire pour avoir du secours
Pater Noster ?

Peux-tu me pardonner, toi de qui la justice
Punit sévèrement les crimes des humains ?
Tu me parais toujours pour hâter mon supplice,
Armé de ta fureur et ta foudre en la main
Qui es in coelis.

Et toi, honteux troupeau dont les impies maximes
Ont su pour quelque temps différer mon trépas,
Crains la punition du plus grand de tes crimes,
D’avoir dit du plus noir de tous les scélérats
Sanctificetur.

Je vois venir le temps qu’une juste vengeance
Va punir en un jour tant de forfaits divers
Et du trône divin la terrible sentence
Va bientôt effacer de ce vaste univers
Nomen tuum.

D’un arrêt éternel ta race exterminée
Du Tartare bientôt va devenir la proie.
Impatient de voir cette heureuse journée
Tous les peuples seront dans l’excès de leur joie.
Adveniat.

Ils reverront enfin leurs pays si chéris
Ces héros dont l’exil est l’effet de ta rage.
De ta faveur déchus, montés sur les débris,
Ils feront oublier par leurs doctes ouvrages
Regnum tuum.

C’est ainsi du sommet d’un pouvoir redoutable
Que tu vas retomber en ton premier néant,
Toi dont la vanité partout insupportable,
Voulaient que les rois mêmes disent en t’obéissant
Fiat voluntas tua.

Tes fautes sont enfin au comble parvenues
C’est en vain que tu veux d’un silence éternel
En cacher le nombre, leur noirceur est connue
Sicut in coelis et in terra.

Plus coupables que moi d’avoir en tous les lieux
Autorisé mon crime, augmenté mes horreurs,
Et loin de me punir des forfaits odieux
M’avoir impunément donné avec faveur
Panem nostrum quotidianum.

Mais quel affreux spectacle à mon âme alarmée
Se présente à mes yeux de moment en moment :
Des bêtes hideuses contre moi animées
Une troupe m’entoure criant horriblement
Da nobis hodie.

N’attends pas, disent-ils, trouver ton Dieu propice,
N’attends de sa clémence avoir aucun pardon.
Non, cette lâcheté choquerait la justice
Et nous pourrions dire avec quelque raison
Et dimitte nobis.

Rien ne peut maintenant te servir de défense ;
De nos avides mains tu ne peux échapper,
Depuis longtemps soumis à notre puissance,
Et nous venons exprès aujourd’hui demander
Debita nostra.

Des fureurs de ton Dieu misérable victime,
Rongé de vers cuisants, de remords immortels,
Puisque tu désirais d’éterniser ton crime
Tu seras tourmenté par des feux éternels,
Sicut et nos.

En vain dans tes desseins ta clique infortunée
A pu par des millions gagner un parlement,
En vain par ses docteurs la cour subornée
Révoque ton arrêt, prononce lâchement
Dimittimus.

Qu’on sauve maintenant ta tête scélérate
Du coup qui va punir tes crimes à la fois ;
La foudre sur ton front gronde, menace, éclate
Et va te joindre enfin aux Guignards, aux Dubois
Debitoribus nostris.

De t’avoir supporté la terre est en courroux
Le Ciel n’écoute plus repentir, ni prière
C’est jadis qu’il fallait, jeté sur tes genoux,
Dire et dire cent fois aux pieds de la Cadière
Et ne nos induca in tentationem.

C’est ainsi qu’en dedans rongé d’affreux soucis
Girard à ses côtés voit des troupeaux de diables,
Et dans l’iniquité son esprit endurci
Ne daigne pas crier à Jésus charitable
Sed libera nos a malo.

 

Numéro
$1984


Année
1731




Références

F.Fr.23859, f°60v-61v