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Les Girardines. Ode

Les Girardines
Ode1
En vain l’iniquité superbe
Croit triompher par son crédit ;
Elle séchera comme l’herbe
Et son règne sera maudit.
Girard, ce moine détestable
Qu’une Société damnable
Veut laver de tous ses excès
Pense que Thémis avilie,
De sa maligne frénésie
Dissimulera les accès.

Ô chastes filles de Mémoire,
A vous je n’ose avoir recours.
Je croirais ternir votre gloire
Que d’implorer votre secours ;
Mais vous que nul excès n’étonne,
Impitoyable Tisiphone,
Mégère, cruelle Alecton,
Est-il mortel dans vos abîmes
Qui soit souillé de tant de crimes
Que Girard, votre nourrisson ?
il s’adresse aux trois furies d’Enfer.

Infâme reine d’Amathonte,
Éloignez-vous de ce tableau
Quoique sans pudeur et sans honte
Vous rougiriez à ce pinceau.
Une horreur subite, inconnue,
A cette détestable vue
Atterrerait tous vos [?]
Tout ainsi que l’auteur de Thyeste
Imitant le flambeau céleste
Vous retourneriez sur vos pas.
Déesse d’amour.

Mon âme, de frayeur éprise,
De telles dissolutions
Quittera-t-elle l’entreprise
Par disette d’expressions
Ou trouvera-t-elle un génie
Qui dans les termes modifie
L’inévitable obscénité
Et couvre d’un rideau modeste
Des forfaits qu’un chacun déteste
Sans altérer la vérité.

Les filles chastes et pudiques2
Auraient trouvé leur sûreté
Si dans les routes sodomiques
Il eût fixé sa volupté.
Rien de sacré qu’il ne profane,
De tout excès il est l’organe
Et rien ne saurait de son cœur
Ni les plus affreux sacrilèges,
Les plus énormes sortilèges
Remplir la noire profondeur.

Girard dont je trace l’histoire
Avait reçu du Tout-puissant
Pour se consacrer à sa gloire
Plus d’un favorable talent.
Mais ce cœur ingrat et perfide,
Ce cruel et funeste guide,
Sous un dehors spécieux
Brûle par d’impudiques flammes,
Verse le poison dans les âmes
Par mille prestiges affreux.

Profanateur des saints mystères,
Rien n’arrête ses attentats,
Ses maximes sont des vipères
Se glissant dans tous les états.
C’était peu que le molinisme
De l’exécrable quiétisme,
Il renouvelle les horreurs
En poussant plus sa malice
Au Très-Haut fait un sacrifice
De ses plus horribles fureurs.

C’est sous ce voile abominable
Que les faibles cœurs sont séduits
Par cette route détestable
Au bienheureux séjour conduits.
Combien de jeunes innocentes
Sous le titre de pénitentes
Ont couvert ces infâmes jeux
Au mal par degrés attirées
Et salement prostituées
Ont assouvi ses doubles feux.

Sous quelles formes monstrueuses
N’a-t-il pas paru, ce vautour,
De quelles débauches hideuses
N’a-t-il pas souillé ce séjour ?
Si des habitants de Sodome
Le crime fut horrible, énorme,
Plus loin n’allait leur saleté
Et dans leurs villes impudiques
Les filles chastes et pudiques
Avaient trouvé leur sûreté3 .

Où trouver un pareil coupable ?
Grand Dieu, qui peut le soutenir ?
C’est l’homme le plus détestable
Qu’on ait vu de l’enfer sortir.
Il fait insulte à la nature,
Chez lui tout bien est une injure.
Ennemi déclaré du Christ,
En vain voudrait-on le prétendre,
De lui on ne doit rien attendre
Que d’en voir naître l’antéchrist.

Mais ce monstre affreux et terrible2
Surpasse en impudicité
Ce peuple détestable, horrible,
Plus encore en impiété.
Rien de sacré qu’il ne profane,
Excès dont il ne soit l’organe
Non rien ne saurait de son cœur
Ni le plus affreux sacrilège
Les plus énormes sortilèges
Remplir la noire profondeur.

Tribunal de la pénitence,
Unique remède à nos maux,
Qui nous rendez notre innocence,
Source de salutaires eaux,
Girard, par un contraste horrible
De ce lieu saint incorruptible
Fait un siège d’iniquité,
Brave du Très-Haut la puissance
Et pousse son incontinence
A plus d’une impudicité.

Grand Dieu, du haut de ta demeure
Vois ces attentats criminels.
Tout ce que souffre la nature
En présence de tes autels
Le méchant croit dans sa folie
Que de ta distance infinie
Tu ne peux venir jusqu’à lui.
Mais fais-lui voir que ta colère
S’allume ainsi que le tonnerre
En le foudroyant aujourd’hui.

L’infâme veut sur l’innocence
Pour y trouver l’impunité
Avec une extrême impudence
Rejeter son iniquité ;
Dieu ! quels complots, quelles intrigues4 ,
Quels mensonges et quelles brigues
Ne lui voit-on pas employer,
Mais toutes ces scélératesses
De sa cabale les souplesses,
Thémis va bientôt foudroyer.

Je cherche en vain dans les histoires
Les scélérats les plus fameux
Et leurs actions les plus noires
Ne m’offrent rien de tant affreux.
Je fouille dans le paganisme
Dans le plus outré fanatisme,
La fable n’est d’aucun secours
Si je ne trouve point en elle
De quoi faire mon parallèle,
A quoi pourrai-je avoir recours ?

Dans le sale Héliogabale
En vain je cherche un tel portrait ;
Dans l’infâme Sardanapale
Je te trouve encor imparfait.
Enfin si ma recherche en vain
Qu’en eux je ne trouve qu’à peine
De Girard un faible crayon,
Habitants des demeures sombres,
Trouverait-on parmi vos ombres
Un aussi coupable démon ?

Je vois Circé, je vois Médée
Par un favorable concours
Se présenter à ma pensée
Et m’offrir un puissant secours.
Dans Girard je vois leurs maximes,
J’y découvre les mêmes crimes.
Elles conjuraient les enfers,
Mais les noires cérémonies
De ces implacables furies
Ont moins effrayé l’univers5 .

A Girard rien n’est comparable6 .
Espérons donc de l’avenir
Qu’il produise enfin un coupable
D’un autant affreux souvenir
Qui fasse insulte à la nature,
A qui tout bien soit une injure,
Ennemi déclaré de Christ.
En vain voudrait-on le prétendre
Et l’univers ne doit l’attendre
Que de l’exécrable antéchrist.

Il voudrait de cette contrée
Bannir l’adorable Thémis,
La forcer d’aller vers Astrée
Et rendre impuissants ses amis.
Mais un parlement équitable,
Aux méchants toujours redoutable,
Ne tient pas son glaive arrêté.
J’y reconnais des Roquesante7
Don la race est plus abondante
Que ne croit la Société.

Raguse, de Trez, gens augustes,
Ont grands nombre de ressemblrants
Pour confondre tous ces procustes
Et brider ces loups ravissants8 ,
Aux suggestions insensibles,
Juges justes, incorruptibles,
Jamais on ne les vit broncher
Et sur les pas de ta justice
A ta vertu toujours propices
On les voit constamment marcher.

Disparaissez donc de la scène
Girard dont les déportements
N’offrent qu’une matière obscène,
N’inspirent que frémissement ;
Que ton affreuse et sale histoire
S’efface de notre mémoire9 ,
Soit dans un éternel oubli.
Que d’une histoire édifiante
A notre cœur réjouissante
L’esprit soit à jamais rempli.

Ô société détestable2 ,
Sur ton chef le glaive est levé.
Tu ne seras plus formidable,
Ton règne est achevé.
Tu n’as causé que des alarmes
Et partout fait verser des larmes.
Tu vas en répandre à ton tour.
L’innocence enfin triomphante
Touche à cette époque éclatante
De l’heureuse paix de retour.

Non, ne crois pas que tes largesses
Soutiennent ton trône odieux.
Inutiles sont tes richesses.
Les peuples ont ouvert les yeux.
La terre, cette bonne mère,
Ne souffrira plus la vipère
Qui déchirait ses nourrissons.
Tu ne trouveras plus en elle
Qu’une marâtre plus cruelle
Que ne sont tes mortels poisons.

  • 1 Cette ode est faite contre le Père Girard à l’instar des Philippiques. (M.)
  • 2 a b c Strophe absente de F.Fr.23859.
  • 3Les deux derniers vers dans Turin : Et malgré leurs lubriques flammes / L’on respectait la vérité.
  • 4Les quatre derniers vers dans Turin : intrigues / Quels mensonges, quelles intrigues / Quels mensonges et quelles brigues, / Ils donnent l’argent à foison / Il faut sa uver ce misérable : / Fût-il cent fois plus misérable / Il est de Jésus compagnon.
  • 5Au moins effrayaient l’univers. (Turin)
  • 6A Girard, rien n’est comparable / Et croira-t-on à l’avenir / A l’histoire trop véritable / D’un malheureux qui fait frémir. / O, Société détestable / Tu ne seras plus formidable. / Sur ton chef, le glaive élevé / Tu n’as causé que des alarmes / Et partout fait verser des larmes. / Gémis, ton règne est achevé. (Turin)
  • 7Famille d’Aix dont un jugement de M. Fouquet fit revenir les autres juges qui le condamnaient à la mort. (Turin). M. de Roquesante s’est rendu fameux dans l’affaire de M. Fouquet. (F.Fr.23859)
  • 8ressemblants / qui, prononçant des arrêts justes, / Brideront ces loups ravissants. / Aux suggestions (Turin)
  • 9mémoire. / Que tu sois partout en horreur / Que toutes tes scélératesses / De ta cabale les souplesses / Inspirent partout la terreur. (Turin)

Numéro
$2007


Année
1731




Références

F.Fr.23859, f°88r-91v - Turin, p.221-30


Notes

Reprend  ouvertement le modèle des Philippiques de Lagrange-Chancel.