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La religion se plaint à Dieu…

Dieu saint qui fait au vice une éternelle guerre1
Qui pour me former sur la terre
Est descendu du haut des cieux,
Vois l’outrage que veut me faire
Des mortels le plus téméraire
Et punis cet audacieux.

Sous la peau d’un agneau, d’un loup il a la rage ;
Il me fait tenir un langage
Qui me couvre de déshonneur
Et qui bientôt parmi les hommes
Dans ce méchant siècle où nous sommes
Me va rendre un sujet d’horreur.

Quoi, le loup ravissant est dans la bergerie,
Il y fait sentir sa furie
Et pas un chien n’aboiera ;
On verra dans l’Église même
S’élever un affreux système
Et tout le monde se taira.

Hélas, il n’est que trop de ces chiens infidèles,
À tes ordonnances rebelles,
Qui ne savent point aboyer,
Qui par crainte ou par espérance
Laissent ton troupeau sans défense
Quand le loup vient le ravager.

Non, dans un cas pareil ta divine prudence
Ne prescrit jamais le silence,
Et je ne l’ai jamais prescrit
C’est une vraie apostasie
Suivant l’expression chérie
Des saints remplis de ton esprit.

S’il n’eût été les cris et la plainte publique,
La faction jésuitique
Eût fait taire la vérité.
On eût déjà vu l’innocence
Gémir sans aucune espérance
Et triompher l’iniquité.

Si dans ces temps fâcheux où la fière hérésie
Se déchaînait avec furie
On eût eu ce ménagement,
Aurait-on encore quelque reste
De cette pureté céleste
Que j’avais au commencement ?

Un enfant voit brûler la maison de son père
Et sans mériter sa colère
Il la laissera consumer,
Ou par une horrible maxime
On voudra lui faire un grand crime
D’avoir couru pour la sauver.

C’est ainsi que l’entend la troupe moliniste
Depuis un long temps quiétiste
Mais pour elle tant seulement,
Car de noircir mes saints ministres
Par les discours les plus sinistres
C’est ce qu’elle fait gaiement.

Du mal et du scandale elle est l’unique source
Et présentement sa ressource
Est qu’on se taise en sa faveur.
Mais pourquoi son orgueil extrême
La fait-il parler elle-même
Pour justifier l’imposteur ?

Condamner le recteur, non, ce n’est pas médire,
Ce n’est ni fureur ni satire,
C’est aimer la religion :
Si ce séducteur exécrable
N’est point ici jugé coupable,
Je péris sans rémission.

Il fut dit, il est vrai, par un de vos apôtres
Qu’on ne doit point juger les autres
Quand on est aussi criminel,
Mais vit-on jamais aucune âme
Abuser comme cet infâme
Du ministère de l’autel ?

J’avais pris pour adjoint ce ministre infidèle,
Je me promettais de son zèle
Qu’il seconderait mon dessein
Mais j’ai vu par expérience
Que j’ai nourri dès son enfance
Une vipère dans mon sein.

Ma gloire et mon honneur exigent qu’il périsse
Sans quoi l’impunité du vice
Enhardira tous les méchants,
Et des ministres de l’Église
On croira que je canonise
Les plus détestables penchants.

Il a déshonoré ton sacré caractère,
Il faut qu’une peine sévère
Expie un si noir attentat.
Pour faire cesser le scandale
Il faut que le supplice égale
La sainteté de son état.

Grand Dieu, permettras-tu que des juges habiles
A mes lois jusqu’ici dociles
Me trahissent par lâcheté ?
Dans l’affaire de la Cadière
Ils n’ont pas besoin de lumière ;
Donne-leur de ta fermeté.

 

  • 1La religion se plaint à Dieu du langage que l’on lui a fait tenir dans les vers ci-dessus où l’on veut qu’elle ordonne le silence dans l’affaire du Père Girard.

Numéro
$1954


Année
1731




Références

F.Fr.23859, f°41r-42r - BHVP, MS 602, f°188r-190r


Notes

Réponse à $1953