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Cantique sur le désert de la foi

Cantique sur le désert de la foi1
Ô nuit ! Ô mort ! Ô désert effroyable !
Dans le sein de la foi changement incroyable,
L’esprit est interdit, le cœur est abîmé,
La terre me déplaît et le ciel m’est fermé.

J’ai de mon Dieu bien peu de connaissance ;
Je sais qu’il est mon tout et quelquefois j’y pense,
Mais c 'est comme un éclair au milieu de la nuit ;
Le reste n’est qu’horreur, suspension et bruit.

Je fuis le mal et je ne le puis craindre ;
Quoiqu’esclave de Dieu je ne puis me contraindre,
Et tout ce que je fais et de mal et de bien,
L’âme se laisse aller, elle ne goûte rien.

Divins attraits, sentiments et tendresses,
Beaux feux auxquels je brûle et célestes caresses,
Tout est anéanti, je n’ai plus que la foi,
Je vois un grand chaos entre l’Époux et moi.

Vivre sans cœur et subsister sans être,
Aimer Dieu sans amour, l’aimer sans le connaître ;
Je ne puis regarder cet état sans frayeur
Et puis dans un instant on rassure mon cœur.

Un fort sommeil ensevelit mon âme ;
Je vois d’un antre obscur s’élever une flamme
Qui vient toucher mon cœur et ne le brûle pas,
Et je dis en dormant, Dieu seul a des appas.

Mais quels appas ? Qu’est-ce que je viens de dire ?
Je jouis sans savoir, et contente et martyre ;
Dieu résidant en moi s’est couvert d’un brouillard ;
De son obscurité j’ai la meilleure part.

Mais si caché que quelquefois je doute
S’il faut adorer Dieu, si ce grand Dieu m’écoute ;
A force de clarté l’esprit est interdit ;
Mais on me dit soudain, paix, paix, il est ici.

Je vois souvent dans d’autres créatures
Quelles sont leurs faveurs, quelles sont leurs parures.
Je vois l’air de l’Époux et l’air de l’Ennemi
Et je ne suis pour moi qu’ignorance et qu’oubli.

Un seul moment adoucirait ma peine
Je voudrais obéir et me faire une chaîne
Hélas ! je reçois tout avec un grand respect
Et puis, oubliant tout, je suis un autre attrait.

Je vois pourtant que ma plainte est frivole
Car mon cœur s 'indignant vient prendre la parole
Et me dit, tu sais bien que tu ne veux que lui ;
T’accusant, t’indignant, tu cherches quelqu’appui.

Je n’en veux point ; Die seul me doit suffire
M’abandonnant à lui, rien ne me saurait nuire.
Flots, engloutissez-moi, couvrez-moi, belle nuit
Qu’il ne demeure en moi que Dieu qui me poursuit.

J’ai reculé, je ne suis plus la même ;
Je n’ai rien fait de bon, je ne crois pas que j’aime.
Ciel ! laissez-moi pleurer ou laissez-moi guérir.
Je ne sais pas changer, ni ne sais pas mourir.

Je n’ai pourtant aucun remords de feinte
Je marche rondement, je converse sans plainte
Et quand de quelqu’attrait le monde me surprend
Je me laisse emporter au fond de mon néant.

Sombres états, langueur et sécheresse,
Mépris, confusions et mortelles faiblesses
Venez pour m’engloutir, Dieu sera mon soutien.
Lui seul est ce qui est, mon repos et mon bien.

  • 1Septembre 1731 - Ces cantiques qui respirent le quiétisme ont été trouvés parmi les papiers de la Batarelle, pénitente stigmatisée du Père Girard, écrits de la propre main de cette fille. (M.)

Numéro
$1969


Année
1731 septembre




Références

F.Fr.23859, f°48r-49v


Notes

$1969, $1970, $1971 semblent de la même main.