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Chanson

Chanson composée sur la lettre du Père Girard
écrite à Dlle Cadière le 22 juillet 1730
Vous recevrez, ma chère enfant
En trois jours la troisième lettre.
Si je n'écrivais en amant,
Ma foi, je ne saurais qu'y mettre.
Mais inspiré du dieu d'Amour
J'en écrirais trois dans un jour.

Rêveur, distrait à tout moment,
Plein de ton idée agréable,
De tout autre amusement
Mon esprit se trouve incapable.
Et bientôt ne pourrai-je enfin
Rien faire que pour ma catin.

Je te porte partout cher coeur,
Au sermon, à table, à la messe,
Si chez nous on allait au choeur,
J’y penserais à toi sans cesse.
Mais parmi nous il faut songer
A ne se voir que pour manger.

Aussi n'avons-nous pas besoin
De consumer dans la prière
Un temps qu'en paix dans un recoin
On peut employer à mieux faire.
Suivons avec soumission
L'indifférente motion.

Je t'ai depuis un très long temps
De ma morale assez instruite.
Pourtant à mes enseignements
Tu ne règles point ta conduite.
Ton esprit n'est pas affermi
Car je n'ai rien vu qu'à demi.

Catin, lorsque mon tendre coeur
Te vante le dieu de Cythère,
Dois-tu pas au lieu de rigueur
T'oublier et me laisser faire ?
Sublime disposition
Qui tend à la perfection.

Le ciel désire qu'à jamais
Nous soyons unis l'un à l'autre.
Unissons-nous donc désormais
Comme deux grains de patenôtre.
Résister à sa volonté
Serait pure témérité.

Comme ce qui suit l'union
Pourrait ébranler ta constance,
Recours au parfait abandon,
N'écoute point de répugnance.
Uni au ciel intimement
On peut tout faire impunément

Par là, tu peux, s'il te convient,
Manger gras ou bien le contraire.
Mais pourtant si cela te vient
Le gras est plutôt ton affaire.
Tu perds ta force, il faut penser,
Ma fille, de la remplacer.

Redonne la joie à tes yeux.
Ton mal va cesser de t'abattre,
C'est là l'effet officieux
De ces grands verres d'eau rougeâtre1
Que plusieurs fois par charité
Dedans ton lit je t'ai porté.

Si de mes charitables soins
Tu voulais apprendre la cause,
Près de toi, cent fois, sans témoins,
Quelque étrange que soit la chose,
Pendant l'extase à tes genoux
J'ai fait le devoir d'époux.

Que je regrette ces moments !
Que leur idée est agréable !
Ne reviendrait-il plus ce temps ?
Ah ! pensée trop insupportable !
J'ai grande fin de te revoir
De tout voir et de tout savoir.

Puisque du ciel la volonté
Approuve notre mariage,
Nous devons avec liberté
Chère Catin, en faire usage.
Jene demande que mon bien
Crois-moi, ne me refuse rien2 .

Ainsi je te fatiguerai
Eh ! ne me fais-tu pas de même ?
A notre gré, mie, allons gai,
Comme un couple charmant qui s'aime,
Dans la conjugale amitié
Tout doit se faire de moitié.

Si notre évêque va te voir
Comme, dit-on, il se propose,
Et qu'il veuille voir ou savoir
De toi, cher enfant, quelque chose,
Réponds alors sans hésiter
Qu'il t'est interdit de parler.

Il est de nos meilleurs amis.
Nous le tenons, comme bien d'autres,
C'est parce qu'il nous est soumis
Qu'il est successeur des apôtres.
C'est un bon homme dans le fond,
Mais qui fait ce que nous voulons.

Le Père Sabatier3 encore
Ira bientôt te voir mignonne.
Oh ! pour celui-là, par la mort,
Je ne veux pas qu'on lui raisonne ;
Car c'est un drôle qui pourrait
Faire avec toi ce que je fais.

Pardonne un amoureux transport.
On n'est jaloux que quand on aime.
Or tu sais que jusqu'à la mort
Je t'aimerai plus que moi-même.
Garde-moi donc ton coeur entier
Et point de Père Sabatier

Je le vois, il faut achever
Cet amoureux et tendre ouvrage.
Mais pourras-tu bien déchiffrer
Ma chère enfant, mon griffonnage ?
Je t'en prie, au moins souviens-toi
Que tu dois venir après moi.

Je ne saurais bien t'exprimer
De mon coeur l'extrême souffrance.
Un mot de ta part peut calmer
Les maux que me causent l'absence.
De toi j'attends incessamment
Ce tendre et doux soulagement.

Adieu, je suis ton serviteur,
Ton frère, ton fils et ton père.
Ces titres devraient dans ton coeur
Me laisser une entrée entière.
Mais j'en porte un encore plus doux
Ma fille, c'est celui d'époux.

  • 1La Cadière ayant déclaré au béni Père Girard sa grossesse, il lui faisait prendre une boisson pour la blesser. Ces faits ont été prouvés au procès.
  • 2 Chaque couplet de la chanson porte des expressions de ses lettres écrites à la Cadière.
  • 3Jésuite principal du couvent de Toulon qui a joué un des grands rôles dans cette affaire, à la suite de laquelle il se retira dans leur maison du grand collège de La Trinité à Lyon.

Numéro
$1634


Année
1731 (Castries)




Références

Clairambault, F.Fr.1702, p.1-6 - Maurepas, F.Fr.12632, p.223-28 - F.Fr.12674, p.423-31 - F.Fr.12800, p.384-89 - F.Fr.15133, p. 70-79 - F.Fr.15145, p.453-63 - F.Fr.15231, f°103-104v - Arsenal 3133, p.217-23 - Mazarine Castries 3985, p.160-66 - Stromates, I, 117-22 - BHVP, MS 542, f°125-32 - BHVP, MS 548, p31-38 - BHVP, MS 602, f°291v-293v - BHVP, MS 658, p.256-61 - Chambre des députés, MS 1422, f°162 - Besançon BM, MS 561, p.149-53Lille BM, MS 69, p.1-9 - Lyon BM, Palais des Arts, MS 54, f°21-25 - Lyon BU, MS 331 (imprimé slnd) - Lyon BM, 101215 - Turin, p.189-95


Notes

Parodie détaillée de la lettre du 22 juillet 1730 écrite par le Père Girard à La Cadière. Cf. £0309