L’hirondelle et le moineau. Fable
L'hirondelle et le moineau
Fable
Tout ne respire qu'amourette.
Ce siècle est un siècle perdu
Et l'on ne voit point de vertu
A l'épreuve de la fleurette.
Dans les lieux les plus saints Cupidon s'introduit ;
Sous d'amoureuses lois tout le monde se range
Et telle nous paraît plus dévote qu'un ange
Qui profite en secret d'un amoureux déduit1
.
Une sage hirondelle, et des plus vertueuses,
Du moins s'il en faut croire à sa façon d'agir
(Car du sexe à ne point mentir
Les apparences sont trompeuses)
Vivait assez modestement,
Ignorant de l'amour les fâcheuses traverses
Et ne voulait point de commerce
Qu'avec ses égaux seulement.
Jamais nul autre oiseau ne l'avait approchée,
Sa vertu lui donnait des airs fort rebutants,
A l'église toujours elle passait son temps
Y faisant même sa nichée.
Tout autre dans ce sacré lieu
Aurait commis un sacrilège.
Notre hirondelle seule avait le privilège
De nicher dans un temple où l'on adorait Dieu.
Mais ô siècle maudit, souvent à notre honte
Des dons si précieux font en nous cet effet
Que nous ne faisons point de compte
Des grâces que le ciel nous fait.
L'hirondelle aujourd'hui doit nous servir d'exemple.
Cet oiseau dont l'abord était si dédaigneux
Malgré sa retenue, à la porte du temple
Souffre secrètement qu'un moineau la contemple,
Qu'il lui parle d'amour et s'en rende amoureux.
Ce petit babillard, transporté de son zèle,
Fait d'abord ce que font la plupart des amants,
Flatte de cent discours charmants
L'oreille de notre hirondelle,
Lui dit mille fois qu'elle est belle,
Qu'elle peut tout charmer par ses brillants appas.
L'hirondelle d'abord froidement le rebute,
Mais le hardi moineau ne se rebute pas,
En tous lieux il la persécute
Et ne la quitte point d'un pas.
Enfin de sa beauté le jaseur dit merveille.
L'hirondelle l'écoute et souffre ce trompeur,
Jugez s'il en sera vainqueur ;
Ma foi, quand d'une belle on peut avoir l'oreille,
On attrape bientôt le coeur.
Ce n'est pas que notre hirondelle
Ne fit bien des efforts pour chasser le moineau.
Mais notre chaleureux oiseau
Poussait toujours la bagatelle
Jusque là qu'elle en eut dans l'aile.
Toutefois pour ne l'alarmer,
Le drôle affecte un air modeste,
Lui dit que sans songer au reste
Il l'aime seulement pour le plaisir d'aimer.
Cette méthode aussi n'est pas infructueuse
Pour tromper une prude il faut un air bigot,
Souvent en faisant le dévot
On séduit la plus vertueuse.
Parmi deux sexes différents
La fréquentation est toujours fort à craindre,
Un regard peut souvent atteindre
Aux coeurs les plus indifférents.
Tous ces airs concertés sont d'un mauvais présage :
L'esprit en est d'abord touché.
Dieu nous préserve tous d'un dévot personnage ;
Ce sont, ma foi, des gens à tromper la plus sage
Et plus dangereux davantage
Qu'un serpent sous l'herbe caché.
Notre petit tartuffe, avec sa mine prude
Et ses airs affectés, faisait fort bien sa cour,
Quoiqu'il ne parlât directement d'amour.
Sa belle commençait d'avoir un air moins rude.
Voici ce qu'il disait un jour
Pour vaincre cette pauvre et crédule hirondelle :
Quoi ! toujours du rebut pour mes empressements,
Disait-il, animé de son amoureux zèle,
Et ne pouvons-nous pas, sans devenir amants,
Conserver entre nous un amour fraternel ?
Une sainte amitié n'est jamais criminelle.
Si je suis votre adorateur,
C'est moins pour admirer les traits de la nature
Que pour voir dans la créature
L'ouvrage de son créateur.
Je n'ai sur vos appas qu'une sainte entreprise ;
Quittez donc ces airs rebutants,
Sortez, sortez de votre église,
Venez profiter dans nos champs
Des sensibles appas d'un aimable printemps.
Reposez-vous sur ma franchise.
Que fait notre hirondelle à ce discours flatteur ?
Résiste-t-elle à telle amorce ?
Nenni, sa fermeté perd dans l'instant sa force ;
Tous ces sens sont troublés d'un amoureux divorce
Et suit le petit enchanteur.
C'est pour vous, dévots en écorce,
Fourbes et suspects directeurs,
Que ma muse aujourd'hui s'aigrit et moralise.
Et vous dont l'air contrit marque la sainteté,
Dévotes qui passez tous les jours à l'église,
Si ma fable vous scandalise,
Faites votre profit de ce qu'elle a traité.
Ce ne sont pas des bagatelles,
La fréquentation fait souvent bien des maux.
Fuyez les directeurs qui vous traitent de belles ;
Ne les voyez jamais qu'aux confessionnaux.
Les femmes sont des hirondelles
Et les hommes sont des moineaux.
- 1Qui se laisse entraîner où l'amour la conduit (F. Fr.23859)
Clairambault, F.Fr.12701, p.403-07 - Maurepas, F.Fr.12632, p.253-57 -F.Fr.15145, p.370-78 - F.Fr.15243, f°46-47 - F.Fr.23859, f°10v-11v -BHVP, MS 602, f°185r-186v - Lyon BM, Palais des Arts, MS 54, f°11-14 - Turin, p.59-64