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Vers contre le P. Nicolas

Vers contre le P. Nicolas
C’est trop longtemps en paix laisser l’iniquité !
Muse, sors de ta lâche et molle oisiveté,
Rougis de ton silence et dépeins sans figure
Tous les détours affreux de la noire imposture ;
Tu ne saurais trouver des couleurs ni des traits
Pour peindre, diras-tu, ses crimes, ses forfaits ;
Ce n’est qu’aux scélérats, accoutumés au vice
De pouvoir des méchants peindre tout l’artifice.
Une plume innocente, en faisant ce tableau,
S’arrêt à chaque trait que donne son pinceau ;
Elle frissonne, tremble au seul portrait du crime
Et croit à chaque pas rencontrer un abîme
Au seul nom d’imposture, à celui d’attentat
Elle cesse d’écrire et n’est plus en état
De trouver des couleurs assez vives pour peindre
Un tison infernal qu’elle voudrait éteindre ;
Elle voudrait cacher aux yeux de l’univers
Des crimes, des forfaits inconnus aux enfers ;
La mienne, qui du crime est sans expérience,
De ce portrait affreux, d’horreur frémit d’avance.
Mas muse, cependant, dissipe ta frayeur.
Tu dois pour l’innocent confondre l’imposteur.
Ainsi, sans faire tort aux descendants d’Elie
Dont tu dois respecter et les mœurs et la vie,
La vertu, le savoir de ces hommes pieux
Sont la gloire et l’honneur des saints religieux ;
Du monde séparés dans leur sainte retraite,
Ils suivent dignement l’esprit de leur prophète.
On les voit pleins de zèle, attentifs, assidus,
À remplir le devoir des plus grandes vertus.
Ils se font à prier une sainte habitude,
Tantôt en oraison, et tantôt à l’étude,
On ne les voit jamais sans occupation
Chacun de son devoir remplit la fonction.
Dans cet ordre portant, si saint, si respectable
On trouve un scélérat, un traître, un exécrable
Sans honneur et sans foi, un fourbe, un imposteur,
Indigne du nom saint de prêtre du Seigneur ;
De ce monstre d’enfer je puis sans calomnie
Attaquer hautement et les mœurs et la vie.
Ce corps n’en est pas moins respectable et pieux
Pour avoir dans son sein un tel religieux.
Ainsi sans offenser un corps que je révère
Du père Nicolas faisons le caractère.
C’est un homme inquiet, factieux, turbulent,
Jamais dans le repos, toujours en mouvement.
Parmi ses compagnons, les plus saints de son ordre,
Allumant la discorde et semant le désordre,
Plein de son amour-propre, orgueilleux, fier, hautain,
Ennemi de la paix, sans amour du prochain,
Toujours dans ses couvents causant quelque vacarme
Tel est en peu de mots le portrait de ce carme ;
Partout portant le bruit et la dissension,
À craindre et dangereux par son esprit brouillon,
Cet hardi, téméraire, oubliant sa naissance
Fait sous l’habit du froc l’homme de conséquence.
Ignore-t-on qu’à Rome, oubliant son devoir,
De son petit emploi voulant se prévaloir
S’attaque au cardinal ambassadeur de France,
De lutter avec lui porte son insolence.
Ce moine audacieux, ce petit fanfaron
Ose avec Polignac tirer au court bâton
Qui soutient de Lanty la cause légitime.
Le père Nicolas, toujours ami du crime
De la partie adverse embrasse le parti
Et veut au cardinal donner le démenti.
À ce trait connaissez quel doit être cet homme
Et s’il fit après tout un long séjour à Rome.
En France de retour, ce moine factieux
À ses meilleurs amis se rendit odieux.
On ne peut s’accorder à son humeur brutale.
Avec tous ses défauts, cet infâme imposteur,
Du couvent de Toulon est nommé supérieur.
À peine cet impie arrive à cette ville
Qu’il contrefait le saint en politique habile ;
Il va chez son prélat et dès le premier jour
Entreprend de lui faire assidûment sa cour.
Il peint sur son visage une sainte innocence
Pour gagner du prélat toute la confiance.
Au dedans scélérat, il paraît au dehors
Un des plus éminents de son illustre corps.
Sous ce voile trompeur et ces saintes grimaces
Il prétend du prélat gagner les bonnes grâces ;
Il cherche les moyens de supplanter Girard,
Mais pour y réussir il est venu trop tard.
L’évêque du premier connaissant le mérite
N’écoute pas le carme, en faveur du jésuite.
Chagrin, confus, jaloux, enfin désespéré,
Pour détruire Girard, que fait cet emporté ?
Cache son désespoir dans le fond de son âme
Et de tous les desseins forme le plus infâme ;
Il cabale en secret, forme une faction
De brigands sans honneur ni sans religion ;
Il se ligue avec eux, il se forme une brigue
Et trame sourdement la plus infâme intrigue.
Il va chez la Cadière, assemble ses parents,
De leur crédulité profite à leurs dépens,
Leur parle de Girard, directeur de leur fille.
Tous ses soins assidus font tort à sa famille,
Leur dit-il, et de là commence le complot.
Il fit plus, le dicta lui-même mot à mot.
Voici l’occasion leur dit ce frénétique
De perdre sûrement tout le corps jésuitique :
Qu’elle accuse Girard, qu’elle porte au pasteur
Sa plainte, ses remords contre son directeur ;
Qu’elle paraisse triste, innocente, naïve.
Lévêque croira tout de sa bouche plaintive.
Pour sauver son honneur, il faut l’enchantement.
C’est par là qu’elle peut se sauver sûrement,
Supposer le prestige et puis le sortilège ;
Elle prouve par là l’inceste sacrilège,
Toujours dans l’innocence et dans la pureté :
N’étant complice en rien sauve sa chasteté.
Tels furent les complots qu’il fit en cette ligue ;
Mais craignant le succès de sa funeste intrigue
Et voyant que l’évêque avait quelque soupçon
Et de son imposture et de sa trahison,
Il évoque sa cause à des juges laïques,
Malgré qu’il fut soumis aux droits ecclésiastiques.
Il assemble sa brigue et dit qu’absolument
Il faut que ce procès se plaide au parlement
Où plusieurs partisans d’une malice égale
Soutiendront leur parti, soutiendront leur cabale.
Il porte la Cadière à des excès d’horreur.
Cette fille le croit, comme elle est sans pudeur ;
Elle suit le conseil que dicte la malice ;
de ce moine pervers elle sert le caprice.
L’affaire au parlement, que fait ce factieux ?
Il se sert de détours criminels, odieux,
Il fait agir sous main le plus noir artifice,
Il a recours à tout, au crime, à l’injustice.
Mais malgré tous les soins qu’il prend dans son procès,
Il craint avec raison un sinistre succès.
Que faire en cet état ? Ce moine en homme sage
S’éloigne de Toulon, il va faire un voyage
Et pour mieux pallier la crainte qui le suit :
L’innocence, dit-il, à Paris me conduit,
Et bientôt vous verrez cette même innocence
Me faire revenir triomphant en Provence.
Je veux, en me jetant aux genoux de mon roi
De ma sage conduite et de ma bonne foi
Aux yeux de l’univers faire éclater les marques
Et prouver ma sagesse au plus grand des monarques.
Te était le discours que tenait Giricard
Pour qu’on n’imputât pas à fuite son départ.
Mais si l’on avait pu lire au fond de son âme
On aurait reconnu la peur de cet infâme
Qui n’allait à Paris que pour être en état
De se sauver en cas qu’on sût son attentat.
Il avait des amis partisans de sa clique,
Il les avait instruits en rusé politique
Qui, chargés du secret, fournissaient au besoin
Et l’informaient de tout avec un très grand soin.
L’argent ne manqua pas, il lui fut fort facile
De trouver des amis dans cette grande ville ;
Des lettres surchargé par les gens du Parti,
Paris n’en manque point, il en est tout rempli ;
Il en trouva beaucoup à sa brigue fidèles.
Aussi leur fait-il part de toutes ses nouvelles ;
Il ne leur cache rien, il complotte avec eux ;
Tout seconde d’abord ses desseins et ses vœux.
Auprès des magistrats un accès favorable
Enfle de Giricard l’orgueil insupportable ;
Il écrit en Provence à tous ses partisans ;
Les fatigues, les soins et tous les mouvements
Qu’il se donne à Paris, il sollicite, il presse,
Qu’auprès du parlement un chacun s’intéresse,
Qu’il faut presser l’affaire avant que le sénat
Ne puisse décourir leur cruel attentat ;
Qu’il importe beaucoup de fomenter la ligue,
Surtout dans le secret ensevelir l’intrigue,
Qu’on l’instruise de tout, qu’on lui marque avec soin
Ce que pense le juge, ce que dit le témoin ;
Si l’on parle de lui, et de quelle manière ;
Ce que fait, ce que dit son aimable Cadière ;
Si son parti triomphe et si le parlement
Le juge criminel ou le croit innocent,
Afin que là-dessus il règle son voyage.
Pour se mettre à couvert il met tout en usage ;
Il se sent trop coupable afin d’agir en sot ;
Aussi ne revient-il qu’assuré du complot
Qu’a fait sa brigue ; alors il revient en Provence,
Faisant sonner qu’il vient montrer son innocence,
Qu’il vient s’innocenter, ou qu’il vient pour périr.
Il dit qu’en innocent il aime mieux mourir
Que vivre soupçonné de crime et de malice,
Voyant avec horreur l’ombre seule du vice.
Je le crains mille fois, dit-il, plus que la mort.
Pour m’en défendre aussi quel dangereux effort
Ne me suis-je pas fait, malgré ma maladie,
Je pars, je viens en poste au mépris de ma vie.
On a beau m’avertir que je risque en chemin
De mourir de fatigue, et de douleur enfin,
Je n’ai rien écouté, je n’ai voulu rien croire ;
J’ai suivi seulement l’intérêt de ma gloire.
Car qui peut vivre infâme est indigne du jour ;
Pour me justifier, me voici de retour.
Rien n’a pu me toucher : rétention d’urine,
Larmes de mes amis, ordres de médecine
N’ont rien pu sur mon cœur, j’avais trop de raison
De tout sacrifier et me rendre en prison.
M’y voici pour prouver mes mœurs et ma conduite ;
Qu’on me traite, Messieurs, comme je le mérite :
Criminel, innocent, ordonnez de mon sort ;
Vous avez en vos mains, et ma vie et ma mort.
C’est ainsi que ce fourbe impudent et parjure
Se conduit pour cacher toute son imposture.
C’est ainsi qu’au public montrant sa fermeté
Il prétend l’éblouir par cet air effronté.
Cependant en secret il presse, il sollicite ;
La crainte de son crime à tout moment l’agite ;
Il ne peut la cacher, son trouble le trahit.
Triste, rêveur, pensif, il ne sait ce qu’il dit ;
En ses partisans même il n’a plus confiance,
Marques sûres du crime et non de l’innocence ;
Chagrin dans la prison et saisi de frayeur,
Il ne montre que trop les chagrins de son cœur.
Pour peu qu’on l’examine, on voit une tristesse
Qui ne le quitte point et le trouble sans cesse ;
Deux passions en lui l’agitent tour à tour :
D’un côté la frayeur et de l’autre l’amour ;
Tantôt devant ses yeux se présente l’abîme
Qui prêt à l’engloutir lui reproche son crime,
Les abîmes entrouverts pour punir ses forfaits,
En dépeint les tourments avec d’horribles traits ;
Tantôt le grand amour qu’il a pour la Cadière
Lui cause une tristesse encore plus meurtrière ;
On l’entend soupirer, on le voit en ces lieux,
Vers sa chambre tourner à tous moments les yeux ;
Ses soupirs, ses regards, ses sanglots et ses larmes
De son coeur amoureux expliquent les alarmes.
Il cherche à lui parler, c’est son plus doux espoir ;
Il presse, il sollicite, il demande à la voir.
Que fait ce scélérat, sans honneur et sans honte ?
À sa chère Cadière il veut qu’on le confronte ;
Cet infâme se sert de ce prétexte affreux
Pour lui parler d’amour, du moins avec les yeux ;
Tous les deux de cet art entendent le mystère ;
Le moine entend la fille et la fille le père ;
Ils s’expliquent ainsi leur amour mutuel,
Le coupable d’accord avec le criminel
Par ses tendres regards lui promet et lui jure
Qu’elle aime l’imposteur et chérit l’imposture,
Que son cœur est à lui, qu’il doit être assuré
Des tendres sentiments de sa fidélité,
Qu’elle mourra plutôt que de trahir sa flamme ;
Tout cela cependant n’assure pas l’infâme ;
De frayeur agité, ses crimes, son amour
Lui déchirent le cœur, et la nuit et le jour,
Il aime, il est aimé, mais une juste crainte
A ses sens agités porte une vive atteinte ;
Tout le trouble, l’agite, au dedans, au dehors,
Ses crimes, ses forfaits, son amour, ses remords
Sont les cruels bourreaux qui le troublent sans cesse ;
Tantôt il craint pour lui, tantôt pour sa maîtresse ;
Le parti qu’il s’est fait, quoique déjà puissant,
Ne peut le rassurer ; il sait que l’innocent
En prison détenu, soumis, humble, docile,
Contre ses ennemis n’échauffe pas sa bile.
Il ne cesse pour eux de prier le Seigneur ;
Il leur rend bien pour mal, ett dans ce lieu d’horreur
Il montre de son cœur cette sainte constance
Et cette fermeté que donne l’innocence ;
Plus on le persécute, et plus on le poursuit,
Plus on le voit prier pour quiconque lui nuit ;
L’innocent est toujours dans une paix parfaite,
Dans les fonds des cachots comme dans sa retraite ;
Content, joyeux, tranquille au milieu des douleurs
Il offre à Dieu ses vœux pour ses persécuteurs.
C’est ainsi que Girard, jour et nuit en prière,
Priait pour Giricard, priait pour la Cadière ;
Et pour toute vengeance il demande au Seigneur
De pardonner leur crime et de toucher leur cœur.
Toujours avec douceur et plein de modestie
S’est-il pas défendu contre la calomnie ?
Ses juges l’ont-ils vu, d’un air fier, orgueilleux,
Quand ils l’interrogeaient paraître devant eux
Toujours humble, soumis, sans frayeur et sans crainte ?
Il répondait à tout, sans murmure et sans plainte.
C’est ainsi que toujours s’est comporté Girard.
Mais bien différemment agissait Giricard :
Ce moine turbulent, factieux, mercenaire,
Impudent s’il en fût, à l’excès téméraire,
Nourri dans les forfaits, orgueilleux, fier, hautain,
Soutenait l’imposture avec un front d’airain.
Nul scélérat jamais avec plus d’impudence
Ne noircit l’innocent, n’attaqua l’innocence.
À force de crier le père Nicolas
Abuse le public qui ne le connaît pas.
On sait que de tout temps le crédule vulgaire,
Suivant sa passion, agit dans une affaire ;
Il n’examine rien et suit aveuglément
Sans mesure et sans poids son premier mouvement ;
Surtout quand à la tête une avec audace [sic]
Par son rang distingué émeut la populace
Qui se porte aisément à la sédition ;
L’esprit de la révolte et de la faction
Est du peuple effréné le guide et le partage
Qui toujours le conduit par fureur et par rage ;
De ce peuple mutin, rebelle, factieux,
La brigue ramassa les plus séditieux ;
À la honte des lois, les anime, les arme
À la sédition pour soutenir le carme,
Qui s’oubliant soi-même et fier de ce succès
Pousse son insolence aux plus grands des excès ;
Il ne reconnaît plus ni juges ni justice ;
À ce point d’impudence il porte sa malice
Qu’il ne respecte point la vertu ni l’honneur.
Des juges sans reproche il porte sa fureur
À déclamer contre eux, et par la calomnie
Déchirer leur candeur et diffamer leur vie.
C’est ainsi qu’en agit cet infâme brutal
À l’égard de Faucon et l’abbé Charleval.
De ces deux sénateurs connaissant le mérite,
Et de leur probité prévoyant la conduite,
Il veut les récuser. Que fait ce scélérat ?
Pour venir à son but, il forme l’attentat
D’attaquer leur honneur et, les chargeant d’injures,
Il invente contre eux mille et mille impostures.
Une telle action devait du parlement
Attirer sur l’infâme un juste châtiment.
Mais déjà ce sénat avait formé sa brigue,
Et cet injuste carme était sûr de sa ligue.
Il savait le complot qu’avait fait le parti.
C’est ce qui le rendait à ce point si hardi,
Impudent, téméraire, effronté, détestable,
Voilà de Giricard le portrait véritable.

 

Numéro
$3104


Année
1732




Références

Turin, p.349-63