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Parodie d'une scène d'Iphigénie

 

Parodie d’une scène d’Iphigénie entre les Cadière et le marquis de Senas


Les Cadière
Un bruit assez étrange est venu jusqu’à nous.
Marquis, nous le jugeons trop indigne de vous.
On dit, et sans horreur je ne puis le redire,
Qu’aujourd’hui par Gueydan1 notre Cadière expire,
Que vous-même, étouffant tous sentiments humains
Vous allez chez Gérard2 le divulguer soudain.
On dit que le sénat assemblé pour la pendre,
À son arrêt futur vous a fait condescendre
Et que tournant le dos à vos communs amis
À la Société vous vous êtes soumis.
Qui l’eût cru qu’un seigneur digne du sang d’Oreste
Eût pu jamais souscrire à ce dessein funeste
Et si le roi René revenait à présent
Que dirait-il des hoirs de son grand chambellan3  ?
Qu’en dites-vous, marquis, que faut-il qu’on en pense ?
Ne faites-vous point taire un bruit qui vous offense ?

Le marquis
Qui vous a pu, seigneurs, apprendre son destin ?
La Cadière est encore au pouvoir souverain
Et dès le même jour qu’elle sera jugée
Nous apprendrons son sort, j’instruirai l’assemblée.

Les Cadière
Nous ne voyons que trop que vous l’abandonnez.

Le marquis
Ah, vous verrez, seigneurs, vous verrez, vous verrez4 .

Les Cadière
Nous le verrons, marquis, O ciel, le peut-on croire
Que du grand Nicolas vous perdiez la mémoire ?
Pensez-vous qu’informé d’un si lâche forfait
Vos augustes amis approuvent ce projet ?
Que dira Caveyrac, la Provence et la Grèce ?
Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse
Et de quel œil enfin et Pascal et Chaudon
Pourront-ils regarder ce cruel abandon ?
Croyez-vous que leur foi, leur honneur y consente ?

Le marquis
Vous qui m’apostrophez d’une voix menaçante,
Sachez que vos discours sont ici superflus.
Le parquet a parlé, je ne vous connais plus.
Dans le fameux sénat, j’ai ma place marquée5 .
Dois-je lui préférer une dévergondée ?
N’oubliez pas, seigneurs, qui vous interrogez.

Les Cadière
Vous vous troublez, marquis, et vous nous outragez.

Le Marquis
Et qui vous a chargé du soin de sa famille ?
Ne pourra-t-on sans vous étrangler cette fille
Chacun de vous est-il son père ou son époux ?
Et ne peut-elle…

Les Cadière
Non, elle n’est plus à vous
Vous nous avez trompés par des promesses vaines
Nous croyons voir Girard, juste objet de nos haines,
Expiant ses forfaits sur le bûcher fatal
Anticiper déjà le tourment infernal.
On livre cependant l’innocence au supplice.

Le marquis
Plaignez-vous au parquet, qui veut qu’elle périsse.
Accusez-en Faucon, Charleval et d’Argens,
Riper, Gueydan le traître, et tout le parlement.

Les Cadière
Grands dieux, peut-on entendre et souffrir ce langage
Est-ce ainsi qu’au parjure on ajoute l’outrage ?
Nous ne répondons plus d’un parti furieux
Et qui change d’avis doit périr avec eux.

  • 1Gueydan avocat général, son avis à la mort (M.).
  • 2Gérard, limonadier d’Avignon où l’on s’assemble (M.).
  • 3Il prétend qu’un de ses ancêtres était chambellan du roi René (M.).
  • 4Par ironie (M.).
  • 5Il prétend que les marquis en Provence ont droit d’entrée au parlement. Cela est faux (M.).

Numéro
$3067


Année
1732




Références

Turin, p.132-35