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Pièce paysanne sur l’arrêt du parlement d’Aix

Pièce paysanne sur l’arrêt du parlement d’Aix
Sais-tu, Colin, ce qu’an dit à Paris ?
Par la morguienne y sont bian ébaudis.
Te souviant-il de cette la Cadière
Dont je luisions les factotums naguère ;
Comme al disait que le père Girard
Drès qu’il était avec alle à l’ecart,
Après avoir bian varouillé la porte,
La visitait comme une bête morte,
Pis la tâtoit et la lentiponait
Tant qu’un biau jour ce vilain maladrait
L’avait rendue, à ce qu’alle disait, mère ;
Et pis encore, le plus mal de l’affaire,
C’est que le drôle avait su bian et biau
Envoyer ça tout d’un coup à vauliau ;
Que finement il avait, par adresse,
Embabouiné en allant à confesse,
Où son haleine était un franc poison
Qui partroublait aux filles la raison,
Tant y a qu’après elles deveniont folles,
N’aimiont point Guieu, faisiont cent cabrioles ;
Pourquoi disiant qu’il était un sorcier
Et n’aviant pu de l’y se defier,
Dame j’étions en si grande colère
Que je voulions que l’an brûlît ce père
Et qu’en l’y fit répartition d’honneur ;
Si les discours des autres étions menteurs.
Car je disions, si c’était calomnie,
La chienne doit être, ma foi, punie ;
Au lieu que si c’est vrai ce qu’alle nous dit,
Faudrait griller ce Lucifer maudit.
Au diable ! ces monsieurs de Provence,
Avont à tous baillé pleine indulgence ;
C’est la besogne à Jean cognefêtu
Qui a plus mis, plus enfin a perdu ;
Et nanmoins l’an dit que les jésuites
De ça pour rien n’avons pas été quittes,
Qu’il a fallu pour ce biau jugement
Aux juges d’Aix lâcher biaucoup d’argent.
S’ils n’avont pas fait pendre la Cadière,
C’est qu’il avont l’himeur trop minagère,
Et c’est jarni leur faute assurément
Car ils n’avont payé tout simplement
Que pour sauver Girard de la brûlure.
Y pouviont mieux tarminer l’aventure :
S’ils aviont pris, par ma foi, mon avis,
En les aurait tout à leur gré sarvis.
Y n’y fallait que redoubler la dose,
Ils auriont eu, ma foi, tout autre chose.
Les Provenciaux sont comme les Normands,
Plus recevont, plus y sarvont les gens.
Encor diton qu’an envoye ce prêtre
Cheux son prélat pour l’y laver la tête.
En est bian sûr qu’y ne l’y dira rian,
Mais stapendant ça ne sonne pas bian.
Aton jamais baillé des pénitences
Qu’à ceux qu’aviont mauvaises consciences ?
C’est donc l’y qu’est styla qu’a plus mal fait,
Ça saute aux yeux et se voit clar et net.
Les bons caffards en ont grand chagrinage,
Y soupiront, grinçont les dents de rage,
Car dans le fond y sentont comme nous
Que ce n’est pas ainsi qu’en est absous.
Il eût fallu, pour leur bailler victoire
Et rapiécer un tantinet leur gloire,
Que ceux qu’en dit pire que pondre d’eux,
Fussiant punis comme calomnieux,
Ou l’en dira toujours qu’en leur fait grâce,
Et que vela leux tours de passepasse,
Qu’ils avont tant de finances et d’amis,
Que tout le mal qu’ils font leur est permis ;
Mais, maugre ça, dès qu’on verra les drilles
En crira garre aux garçons comme aux filles.

 

Numéro
$0743


Année
1731

Auteur
Jouin Nicolas



Références

Raunié, V,286-89 - F.Fr.12702, p.163-66 - F.Fr.12800, p.405-07 - F.Fr.15020, f°231r (13 premiers vers) - Arsenal 3133, p.225-27 - Arsenal 3128, f°2175-218r - BHVP, MS 602, f°194r-195v - Chambre des députés, MS 1422, f°146 - Stromates, I, 99-101 - Besançon BM, MS 561, p.169-71 - Lille BM, MS 66, p.269-73 - Bouhier-Marais, IV,266 (les 14 premiers vers) -  Glaneur historique, 15 novembre 1731

 


Notes

Il s'agit en fait d'une des sarcellades de Nicolas Jouin, qui ont eu une vaste diffusion et de nombreuse éditions.