Apostrophe
Apostrophe
C’est sans doute un démon sous la forme d’un ange
Que mon malheur veut que j’aie écouté
Pour me faire prendre le change.
Grand Dieu, que mon sort est étrange !
Dans quel abîme affreux m’a donc précipité
Ma trop grande crédulité ?
Qui se serait jamais douté
Qu’une bouche occupée à chanter vos louanges,
Qui parlait si souvent le langage des anges,
Fût l’organe d’un cœur rempli d’impureté ?
Pour votre gloire, armé de zèle,
Je m’appliquais à vous former
Une épouse sainte et fidèle
Qui fût digne de vous aimer.
Mais toujours à ma voix secrètement rebelle,
Elle s’appliquait à tramer
Cette affaire injuste et cruelle
Qui devait un jour m’accabler
De la douleur la plus mortelle.
Cependant que pouvais-je faire
Pour me soustraire aux coups qu’on allait me porter ?
Devais-je au hasard la traiter
D’hypocrite et de visonnaire ?
Mon zèle eût paru téméraire,
D’autant mieux qu’au dehors je voyais éclater
La piété la plus sincère
Dont personne avant moi n’avait osé douter.
Je la croyais même une sainte Thérèse
Pour soutenir la charité
J’aurais mis la main sur la braise,
C’est Messieurs, la pure vérité.
Quand tout à coup, ah ! revers incroyable,
Elle lève le masque et pleine de fureur,
Cette âme noire et détestable,
Saisie de trouble et d’horreur
S’élève contre moi, me déclare coupable
De tous les crimes dont son cœur
A toujours été seul capable.
Grand Dieu, contre un si grand malheur
Dont je sens que le poids m’accable,
Daigne me soutenir d’une main secourable.
Autrement je me meurs.
Turin, p. 239-40