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Les Ignacides

Les Ignacides


Ode I


Qui curios simultant et Bacanalia viuunt Juv. Sa.2


Vous, dont les fureurs inhumaines
Enfantent des maux renaissants,
Des enfers noires souveraines
Joignez mes cris à mes a ccents.
Dans la postérité d’Ignace
Je vais dévoiler cette audace
Qui se nourrit de vos transports,
Conduisez l’ardeur qui m’inspire
C’est à vous de monter ma lyre
Et d’en régler tous les accords.

Par la fraude et par l’injustice
Lassés d’avoir trop combattu,
Monstres, dépouillez l’artifice
Qui vous tenait lieu de vertu.
De vos sacrilèges maximes
Un nouveau déluge de crimes
S’est incessamment reproduit
Et les dissensions publiques
De vos odieuses pratiques
Ont été les funestes fruits.

De là ces torrents sanguinaires
De meurtre et d’impiété,
De ces sectateurs mercenaires
Ont consacré l’iniquité.
Oui, la trop crédule innocence
Faible, sans appui, sans défense,
En proie à des tyrans cruels
A vu cette noire cabale
Lui former un nouveau dédale
Du sanctuaire et des autels.

Mais déjà leur mains sacrilèges
Se prêtent aux plus noirs forfaits,
Les plus infâmes sortilèges
En précipitent les effets.
Pour seconder leurs perfidies
J’en vois encore de plus hardies
Qui cherchent à se signaler.
Ah ! s’il se peut, pour notre gloire,
Oublions jusqu’à la mémoire
Des pleurs qu’elles ont fait couler.

Lâches enfants, vengeurs timides,
Indignes sujets d’un grand roi,
Ce sont ces mêmes parricides
Qui dans nos cœur portent l’effroi.
Monstres qu’a vomis le Ténare,
Dont l’ambition nous prépare
Des maux encore plus rigoureux.
Ciel, qu’ils soient réduits en poussière,
Tonnez, frappez, que la lumière
Cesse de se lever pour eux.

C’en est fait, cette hydre indomptable
Reconnaît enfin son vainqueur
Et la cabale insociable
Du peuple est l’opprobre et l’horreur.
Proscrits, bannis de nos provinces,
Ils vont chercher chez d’autres princes
Des secours longtemps négligés
Et honteux ils portent à Rome
Et de Gomorrhe et de Sodome
Tous les pénates affligés1 .

Quel démon sur nos bords tranquilles
Les rappelle encore une fois
Et souille nos sacrés asiles
Par les meurtriers de nos rois2  ?
La discorde, la jalousie,
La vengeance, la frénésie
Leur applaudissent par leurs cris
Et les trois déesses fatales
Traînent ces troupes infernales
Jusque dans les murs de Paris.

Et vous, dont les lois respectables
Conservent les dépôts sacrés
Dont les décrets irrévocables
Par l’Esprit Saint sont inspirés,
Pontife auguste, leur système
Va bientôt s’en prendre à vous-même.
Tous vos droits seront violés,
N’attendez plus de leur faux zèle
Que cette audace criminelle
Qui les a toujours signalés.

Mais quelles sacrilèges fêtes
Vois-je célébrer à mes yeux ?
L’autel du Dieu de nos prophètes
Est usurpé par les faux dieux3 .
Par une exécrable folie
Dagon4 avec l’arche s’allie,
Moloch5 commande en souverain
Et le choix, pieux dans ses crimes,
Suit les détestables maximes
D’Escobar et de Tambourin.

Je vois sous la pourpre romaine,
Par d’indignes fers outragé,
Le juge prélat6 que leur haine
Sacrifie aux Chinois vengés
Jaloux des droits du sanctuaire
Il oppose son ministère
À leurs dogmes pernicieux.
Mais par son secours homicide
L’affreux poison bientôt décide
Entre les enfers et les cieux.

Cachons dans la nuit la plus sombre
Des attentats trop odieux ;
Laissons enseveli dans l’ombre
Le scandale de nos neveux.
Restes d’une odieuse histoire,
Échappés à notre mémoire,
Loin de nous portez vos horreurs,
Cherchez dans ce climat barbare
Que du nôtre le nord sépare,
Des exemples à vos fureurs.


Ode II


Dat veniam, corvis, uexet censura columbas. Juv. Sat.2


Coupables enfants de l’injustice,
Des vengeances, des trahisons,
Mensonges dont les artifices
Distillent le fiel, les poisons.
Oppose tes lois moins sévères
À cette équité dont nos pères
Faisaient la règle de leur mœurs.
Viens, et par tes trames perfides
Fait triompher les ignacides,
Ils ont consacré ces erreurs.

Quel est cet impie Ammonite7 ,
Reste impur d’un peuple abattu,
De qui le langage hypocrite
Ose insulter la vertu ?
Prêt à confondre l’innocence
Par une funeste éloquence,
Il a fasciné tous les yeux.
Thémis à ses pieds enchaînée8 ,
De ses sujets abandonnée,
Gémit sous un joug odieux.

Jeune et malheureuse victime9 ,
Que je plains ton destin affreux.
Tu portes tout le poids du crime
D’un sacrilège incestueux.
Par ses discours trop abusée
Tu suivais la route insensée
Où te conduisait l’imposteur
Sur la foi de ces vains miracles
De ses impudiques oracles
Tu croyais l’appas suborneur.

Quel est ce nouveau Moabite
Qui s’associe à ses forfaits10  ?
Son audace en secret s’irrite
De voir confondre ses projets.
Ah ! pouvons-nous le méconnaître ?
Digne des leçons d’un tel maître,
Il surpassa tous ses rivaux.
Brûlé d’une flamme funeste,
Sur l’adultère et sur l’inceste
Il fonda ses pieux travaux.

L’un et l’autre d’intelligence
Ils portent les plus rudes coups ;
Armés des traits de la vengeance,
Ils font éclater leur courroux,
Leur orgueil que rien n’humilie
À l’empire infernal s’allie
Pour effacer leur deshonneur
Et sous les pas de leurs victimes
Ils creusent ces affreux abîmes
Où s’ensevelit la pudeur.

Jadis l’équité dans nos temples
Recevait les vœux des mortels
Mais par de coupables exemples
Je vois renverser les autels ;
Le mensonge au regard farouche
Corrompt le cœur, souille la bouche
Des ministres d’iniquité,
Et par leurs secours qu’il implore
Il se hâte d’abattre encore
Les autels de la vérité.

Que vois-je ? quels monstres horribles
Vomit l’enfer en son courroux ?
Fyons à leurs regards terribles
Je sens la force leurs coups,
L’imposture au front homicide
Sur cette cohorte préside ;
La fourbe marche à ses côtés,
L’orgueil les suit, et le délire
À l’esprit que son souffle inspire
Fait adopter ses volontés.

Quoi, tout cède à la violence
De ces barbares ravisseurs ?
Grand Dieu, la timide innocence
Sera-t-elle sans défenseur11  ?
Des mortels que peut-on attendre ?
C’est toi seul qui peut la défendre.
Appesantis ton bras puissant,
Moissonne ces têtes superbes
Ainsi qu’on voit tomber les herbes
Sous le fil de l’acier tranchant.

Quel est cet ange tutélaire
Qui frappe mes regards surpris12  ?
C’est la sagesse qui l’éclaire,
De sa droiture elle est le prix,
Son éloquence mâle et pure,
Sûr rempart contre l’imposture,
Triomphe des architofels13 .
Déjà par les mains de la gloir
Je vois au temple de Mémoire
Son nom gravé sur les autels.

Et vous qui tenez la balance
Que Thémis confie en vos mains14 ,
Vengez la coupable licence
De tant d’attentats inhumains ;
Ne permettez pas que ce gage
Devienne l’injuste partage
De vos différents intérêts.
Assis sur les lis redoutables,
Vous êtes des dieux respectables
Dont nous attendons les arrêts.

  • 1Les jésuites chassés de France (M.).
  • 2Les jésuites rappelés (M.).
  • 3Affaire de la Chine (M.).
  • 4Idole des Philistins (M.).
  • 5Idoles des Ammonites (M.).
  • 6Le cardinal de Tournon, commissaire apostolique pour les affaires de la Chine, que les jésuites empoisonnèrent dans les prisons de Macao (M.).
  • 7Le Père Girard (M.).
  • 8a procédure de Toulon par l’official (M.).
  • 9Mlle Cadière (M.).
  • 10Le P. Sabatier, jésuite, qui a abusé de la Navarre, femme d’un chirurgien de Toulon. Elle était sa pénitente (M.).
  • 11Les jésuites avaient tant fait à Aix par leurs brigues qu’aucun avocat n’osait entreprendre la défense de Mlle Cadière (M.).
  • 12M. le baron de Trez, avocat général du palement. Il a fait un très beau plaidoyer pour Mlle Cadière (M.).
  • 13Architofel conseilla à Absalon de violer publiquement les femmes de David, son père (M.).
  • 14Le parlement de Provence (M.).

Numéro
$3075


Année
1732




Références

Turin, p.195-201