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Chanson

Chanson
Amour, où sont tes rigueurs ?
Amour, où sont tes chaînes ?
Pour mériter tes faveurs
Nos larmes étaient vaines
Et jadis nous n’étions tes vainqueurs
Qu’au travers de mille peines.

Girard aux premiers soupirs
Fait changer ces maximes ;
Il voit combler ses désirs
Par de promptes victimes,
Et l’hypocrite use des plaisirs
Dont il nous fait des crimes.

Ah, Père, c’est un peu tard
Entrer en esclavage.
Tu devais à ce bel art
Employer ton jeune âge.
C’et une honte pour un vieillard
D’aimer le badinage.

Mais qu’il s’embarrasse peu
D’être sur sa vieillesse.
Il est encore pleine de feu
Et sa grande tendresse
Sait assez dans son amoureux jeu
Rappeler sa jeunesse.

Non, ce n’est pas un barbon
Aussi froid que la glace.
Religieux compagnon
Des disciples d’Ignace,
Il soutient les feux de Cupidon
Sur la grâce efficace.

Tandis qu’un dehors trompeur
L’établit sur les âmes,
Le tendre et galant directeur,
Loin des célestes flammes,
Fait entrer doucement dans le cœur
Ses passions infâmes.

À l’ombre de tout rival
Il en conte à ses belles.
Jusque dans le tribunal
Brillent les étincelles
Par qui ses yeux donnent le signal
Aux aimables pucelles.

Sn esprit accommmodant
Lui tient lieu de mérite.
Il admet au sacrement
L’âme à demi-contrite
Et je suis sûr que le pénitent
Ne hait point sa conduite.

Je crois pourtant qu’en effet
Depuis qu’il est quiétiste
La Cadière l’a défait
De terreur moliniste
Et qu’il exige un amour parfait
Comme un franc janséniste.

Il ne veut plus désormais
Se charger de collège ;
Vénus offre des emplois
D’un plus doux privilège,
Et l’on canonise sous ses lois
Le plus noir sacrilège.

La foi, la religion
Opposent leur lumière,
Mais le hardi champion
Sait franchir la barrière,
Et dans le fort de sa passion
Immole la Cadière.

Quand l’objet est si charmant,
La passion est plus vive ;
Il est rare qu’un amant
La retienne captive.
Il ne faut pas qu’un jésuite prudent
Cache la récidive.

Dans ces amoureux transports
Où ses sens se dilatent,
Il tire de ses trésors
Des couleurs incarnates
Et Liris voit transpercer son corps
Par des nouveaux stigmates.

Sur-le-champ, d’un doux baiser
Il soulage l’amante
Qu’il vient de stigmatiser ;
La plaie encore récente
Qui sur son sein se fait remarquer
En reçoit plus de trente.

Jeune fille, ouvrez les yeux,
Voyez la fourberie,
Tandis qu’au plus haut des cieux
Vous vous croyez ravie,
Dans les bras du voluptueux
Vous souillez votre vie.

Toi sur qui l’iniquité
Assure sa victoire,
Lis dans la postérité
Ta honteuse mémoire.
C’est toi qui de la Société
Ternis toute la gloire.

 

Numéro
$3076


Année
1732




Références

Turin, p.206-10